dimanche 14 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 2 - 15/07/2013

Chapitre 2 - 15/07/2013

"Angleterre, nous voici, nous voilà ! Patrie de l'Amiral Nelson, du roi Georges V et de Margaret Thatcher (que des grands hommes, non ?), berceau des révolutions industrielles et de David Beckham, lit douillet de l'euroscepticisme latent et anciennement de l'hooliganisme, à la fois roche et bernique accrochée au rocher américain et "rosbeef-land" (1) pour les intimes, ce monceau de clichés forme ton île aux yeux des touristes pédants débarquant d'outre-Manche tout emplis de certitudes sur la culture locale."

Une telle introduction à l'arrivée en Angleterre aurait pu être adaptée. Aurait pu. Mais sa pique ironique à l'égard d'une personne décédée (Thatcher, pas Beckham qui est bien vivant bien que ses exploits moribonds au PSG aient pu laisser de mauvais esprits penser à un proche décès), cette pique gratuite ne mérite pas de figurer dans un tel récit de voyage censé mettre en exergue et exemple l'harmonie et le dialogue entre les peuples. Reprenons donc sur des bases un peu plus consensuelles le fil de ce périple qui en ce 15 juillet nous amena au plus près de ce sel humide appelé mer.

C'est de Roscoff, autre bourgade bretonne qui pourrait très bien faire office de nom d'oiseau dan la bouche du Capitaine Haddock ("Moule à gaufres ! Bachi-bouzouk ! Roscoff !"), que devait s'envoler notre ferry pour Plymouth. A notre grande déception cependant, le ferry se révéla incapable de voler; il vogua plutôt. Mais avant cela bien des péripéties s'offraient à nous, la première étant de trouver le port et par la suite le lieux exact d'embarquement. 
Nul ne sait si Dédale a posé les fondations de Roscoff ou si l'itinéraire est un rite initiatique destiné à décourager la portion la moins téméraire du tout-venant, toujours est-il qu'il nous fallut tourner quelques temps dans cette pittoresque commune, peu aidés par les panneaux indicateurs qui avaient certainement un coup de cidre dans le nez (un coup de trop, s'entend ... ou cent ans, ce qui devait être l'âge des panneaux).

Le rite achevé avec brio, nous étions vers 13h dans cette zone bien particulière appelée zone d'embarquement. Il existe certainement bien d'autres lieux dans le monde de cet acabit, tous ces lieux de non vie, de passage. Terminaux d'aéroports, frontières, voire même laveries automatiques, autant de membres de cette grande famille du non-lieu, de l'entre-deux (et encore, de ces mots les zones en question ne sont que les tirets). La zone d'embarquement d'un ferry y appartient sans le moindre doute. Au premier contrôle, des identités et des tickets, les voitures défilent. Derrière la vitre, un curieux personnage fait face à un dilemme linguistique : faut-il s'adresser en anglais ou en français à tous ceux qui passent ? En ce qui nous concernait, le jeune homme qui officiait choisit le medley : un coup en anglais pour nous demander nos papiers et tickets ; un coup en français, pour nous intimer d’aller à la ligne 23 (le lecteur m’excusera ici si je fais erreur, le numéro exact m’a échappé; en même temps le lecteur ne sachant probablement pas plus que moi le numéro exact de la ligne n’aura sans doute rien à faire de cette parenthèse que je referme fissa).

C’est à l’arrivée sur la ligne 23 que commença vraiment l’immersion en lieu de quasi non-vie. Devant ? Une voiture. Derrière ? Une voiture. Toutes deux britanniques, volant à droite (même si, comme le ferry, les deux voitures ne volaient pas et, pas comme le ferry, elles roulaient … enfin sauf à ce moment précis où elles étaient bien sagement arrêtées). A gauche, d’autres voies avec des voitures, à droite, un splendide grillage longeant un bras de mer au bout duquel attendait majestueusement et royalement (Brittany Ferries oblige) notre embarcation. Quelques bribes de lien social s’immiscèrent néanmoins par un contact avec deux douaniers, dont un bedonnant moustachu scrutant suspicieux Ulysse qui se laissa reluquer, avant de nous demander (le moustachu, pas Ulysse) quelques infos :
« Lui – Bonjour.
Nous – Bonjour.
Lui – Vous voyagez pour quel motif ?
Nous – Tourisme.
Lui – Etudiants ?
Moi – Oui.
L_N – Non.
Lui – Rien de spécial dans la voiture, alcool, cigarettes ?
Nous – Non » (et idiots nous étions de ne point en avoir, car il ne vérifia absolument pas la véracité de notre réponse).

Cette conversation, déjà bouleversante en elle-même, l’est d’autant plus à sa relecture qu’elle constitua à peu près notre seule attache à l’humanité et ses codes sociaux dans un paysage proche de la nature morte. J’en ai cependant oublié une des interventions clés :
« Ulysse - … » (intervention à placer où bon vous semble)
Voilà, erreur rectifiée.

Notre ferry répondant au doux nom d'Armorique mit les voiles à 15h, et c'est encore une expression mal placée car bien que nous avions (les avions, eux, volent) pris garde à emprunter une ligne pas trop onéreuse, notre bateau ne fonctionnait tout de même pas à la seule force du vent sur les voiles. Oui: il fallait y ajouter la force des poumons des passagers contraints de souffler sur les voiles, et celle des passagers poussant le bateau tels Obelix sans force. Pour ces tâches gratifiantes, ce fut bien évidemment les femmes et les enfants (et les noirs) d'abord.

Le ferry partit donc à 14h. Oui, 14h et non plus 15h comme 11 lignes au-dessus car arrive dans ce récit le moment périlleux du passage de l'heure française à l'heure anglaise. Une heure à retirer, dangereux calcul non pas par sa complexité mais en raison du nombre exponentiel d'appareils donnant l'heure en ces temps : montres, téléphones, ordinateurs, tableaux de bord de voitures, ... Toute personne attentive et à l'esprit bien éclairé m'objectera que certains de ces appareils, dans leur formidable modernité, sont aptes à repérer qu'ils posent le pied en Angleterre et à changer seuls leur heure. Ce à quoi je réponds que ces nano-machines n'ont pas de pieds ... sauf les appareils photos, à la limite, mais pas les montres (et quand bien même ils en auraient eu, je n'ai pas cité les appareils photos dans la liste susmentionnée ce qui annihilera j'en suis certain les dernières réserves du lecteur attentif qui commence à devenir un peu chiant, tout de même, enfin, quoi !). Ces précisions effectuées je peux revenir à la complexité du changement d'heure, la multitude d'appareils entraînant nombre de manipulations sachant que tout oubli nous aurait plongé dans un grand désarroi spatio-temporel.

C'est donc à 14h que notre embarcation quitta son ancrage, et si ça fait trois fois que je donne cette information ce n'est pas du tout que je me perds dans des détails digressifs et sans intérêts. Non, si je martèle ainsi l'horaire de départ c'est bien pour me convaincre que c'était le bon puisque nous sommes bien évidemment partis en retard. Le compte-rendu scriptural présentant le grand avantage de prendre sans mal ses distances avec la réalité, je répète néanmoins sans sourciller que c'était à 14h que nous fûmes lancés en mer et, surtout, en ce qui nous concernait, lancés dans le ferry.

Car, à l'image de l'itinéraire vers le port de Roscoff, c'est une bien grande aventure qu'un voyage en ferry et ce qu'il parte à 14h ou pas. Un ferry est un village sur eau, une petite communauté éphémère de centaines de personnes destinées ensuite à ne plus de croiser. Toute une diversité de chemins qui se croisent, à l'image d'autres moyens de transport mais avec un espace nettement plus imposant dans lequel on trouve des commerces, bar, cinémas ou encore salles de jeux. L'arrivée étant programmée à 20h, les plus matheux des lecteurs attentifs et chiants déjà pointés de mon doigt rageur noteront que cela fait 6h de voyage, remarque qui n'a vraiment mais alors vraiment aucun intérêt. Ce qui est tout à fait passionnant en revanche, c'est de préciser que le tour des différents point-clés du ferry ne prit qu'une petite demi-heure, ce qui laissait devant nous bien du temps à tuer.

Il y a bien des manières de tuer le temps. Et puis, il y eut la notre, inclassable. Outre la propension de chaque être pensant  - souvent dépensant - à se sentir unique, cette affirmation se fonde sur des faits précis et tout à fait irréfutables  Des façons de s'occuper, il y en a vingt et cent, il y en a des milliers. Certains crament du juif, nous nous fîmes l'hélicoptère. Ou plutôt je fis l'hélicoptère, Le_neptunien me filmant. Expliquer ce que signifie "faire l'hélicoptère" est relativement simple : prenez un corps difforme et anarchiste capillaire et imaginez-le tournant sur lui-même, les pieds tourbillonnant sans grâce autour du "H" signifiant "hélicoptère" (ou "hurluberlu", pour ce qui me concernait et même si cette expression est démodée depuis 1961), le tout agrémenté d'une expression béate. Le pont étant vide à ce moment précis, le sentiment de gêne fut, malgré cette description peu valorisante , tout relatif. La vidéo de cette prestation sera bien entendu en téléchargement sur i-Tunes prochainement, contre la modique somme de 4.99 € (soit environs 7 pounds).

Bien entendu, enchaîner convenablement avec une occupation d'un tel niveau était chose impossible, et tout tentative de surenchérissement aurait sans le moindre doute tourné à l'abolition immédiate de toute dignité d'homme. Après ce triomphe de la futilité, nous passâmes ainsi la suite du voyage à des activités plus conventionnelles que l'imitation d'hélicoptère. Le_neptunien se reposant du sommeil du juste entre deux inspections dans les recoins les plus secrets du navire, j'en profitai pour rédiger le compte-rendu du concert de la veille - avec une dose de digression plus poussée encore que dans le présent écrit - puis un petit texte ayant pour thème "Guet" qui m'amena à parler de rêves et de Victor Hugo, c'est dire les digressions !

Un peu avant 20h les côtes anglaises étaient en point de mire sans qu'aucune embûche ne nous ait trouvé sur son chemin et sans que notre chemin ne soit embarrassé d’embûche (ce sont deux choses différentes : lorsque l'embûche est sur notre chemin, c'est elle qui doit payer les dommages et intérêts ; lorsque l'on est sur le chemin de l'embûche, le tort nous appartient). Pas d'iceberg, pas de vigie hurlant "les gau-, les gau-gau-, les gaulois !", pas d'enfant tombé à l'eau à mon grand regret car l'effet anesthésiant de l'eau gelée sur les caprices sonores eut été douce euphorie à mes oreilles. Doucement nous approchâmes l'Angleterre et notre destination, Plymouth. Entre-temps nous avions (nous ferrys?) pris soin de dîner au sein du splendide restaurant à bord, avec ses plats aux effluves alléchantes et ses prix qui donnaient envie de profiter dix fois plus encore desdites effluves. Je profitais tant des effluves que je ne retins même pas ce qui se trouvait dans mon assiette alors admettons que la gastronomie n'est pas un thème très attendu dans le récit de voyage en Angleterre, et passons sur ce petit oubli.

Peu après 20h, Plymouth était à nos pieds et surtout sous les roues d'Ulysse qui dut s'accoutumer à cette particularité britannique : rouler à gauche. C'est surtout Le_neptunien qui dut mettre de côté (gauche) ses réflexes de conducteur continental pour se faire le plus rapidement possible aux ronds-points pris à gauche, aux miles et yards remplaçant les kilomètres et mètres, le tout sous les regards des autochtones traduisibles par : "Ça y est, encore des Français qui viennent nous les briser, qui est le con qui a inventé le ferry ?". Plymouth, sa grande roue, son port et sa petite île, son parc avec vue sur la mer et bouteilles d'alcools divers traînant sur l'herbe; tel fut mon premier contact avec la terre anglaise (mais pas en glaise). Le_neptunien, lui, avait déjà goûté (à) cette joie et son regard acéré s'arrêta sur bien des détails échappant à mon regard par trop volatile ne s’accrochant qu'aux limites des fantaisies me traversant l'esprit. Le_neptunien et moi, il est peut-être utile de le préciser pour mieux comprendre ensuite nos comportements respectifs  deux prototypes d'individu humains bien particuliers. Un être humain n'est jamais qu'un prototype et c'est heureux, car c'est le défaut qui fait l'Homme - ce pourquoi la reproduction n'est qu'un moyen de transmettre parmi d'autres certes nécessaire mais loin d'être suffisant, n'en déplaise aux ayatollahs de la fécondité comme but ultime. Le prototype "Le_neptunien", donc, est caractérisé par un esprit curieux, une observation et une connaissance étroites des règles du jeu social ainsi qu'un intérêt forcené pour les créations culturelles ou sociétales de l'être humain. Un regard accroché à la Terre, de ses anecdotes à ses grandes structures, de ses êtres jusqu'au moindre de leur désordre. Ce prototype peut converser de tout sans pour autant s'aveugler de ses propres expériences et idées, son inconvénient principal étant la recherche absolue d'un ordre qui du point de vue du prototype irtimidien est illusoire.

Le prototype irtimidien est en bien des points le Hyde du Jekyll neptunien. Son regard ne s'accroche pas mais dérive, son seul ordre est un désordre organisé selon sa convenance, et sa curiosité pour l'être humain ne s'arrête pas sur ce qu'il produit de concret mais sur les structures qui lui échappent, sur les routines et idées qui s'imposent comme évidences. Surtout l'irtimidien tend à préférer raconter des histoires farfelues que vivre - ou pire, commenter - des histoires vraies. Cette tendance à vivre dans son cerveau peut faciliter des tendances égocentriques et compliquer la tenue de toute conversation, la mise à distance de certaines réalités évitant en revanche de s'en irriter trop facilement. On s'agace peu de ce qui est loin et l'émotion se mesure au kilomètre, en témoignent les réactions variables aux conflits de par le monde.

Cette introspection tout à fait subjective de chacun donnera au lecteur une idée des raisons des réactions de l'un et l'autre aux diverses péripéties qui se présentèrent par la suite. Pour l'heure, la nuit tombant sur l'Ibis de Plymouth, le quinzième jour de juillet s'acheva. Et si la nuit tombait, c'est bien que le guidage du copilote - moi - avait été suffisamment mauvais pour explorer toute la banlieue de Plymouth avant d'arriver à destination. Guidage catastrophique qui constitua l'un des running gags du séjour, sans le moindre progrès au fil des jours, j'en avertis déjà le lecteur trop optimiste. Quant au séjour, il est temps d'en tourner une autre page.


(1)Expression empruntée à Tezorc Y., frère de.

Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
Présentation et informations : Présentation
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