vendredi 19 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Conclusion

Conclusion

Toute chose n'a de fin que lorsqu'on l'accepte. Quoique ce n'est pas vrai pour la mort qui n'attend pas toujours notre accord. Cette conclusion ne sera donc pas un mot de la fin, et elle ne conclut que ce récit.

Elle ne portera pas sur la culture anglaise: non seulement il serait prétentieux de croire en cinq jours connaître toutes les caractéristiques d'un pays doté d'une longue histoire, qui plus est avec mes yeux myopes et biaisés. Je prévenais en préface qu'un récit de voyage possède "les germes de la prétention", je vais tâcher de la cantonner à son état bourgeonnant même si le mal est sans doute déjà fait. J'anticipais aussi "Ce récit se prélassera dans des détails sans intérêt, digressera sans se dégraisser de ses futilités". De considérations socioprofessionnelles sur les serveurs/euses britanniques en charges haineuses contre les touristes dont je suis, je ne crois pas avoir failli à ma mission.

Que de détails j'ai pourtant dû oublier ! Que de petites histoires n'ont pas été contée, qui attendaient pourtant avec impatience d'être couchées sur le papier ! Que d'arrangements avec la réalité ont dû se combiner avec les oublis occasionnées par ma mémoire un peu défaillante ! Que je t'aime, comme hurlerait l'autre, toi écriture qui m'offre la possibilité de mettre en forme une histoire à peu près cohérente !

Ce récit doit beaucoup au Neptunien, Benoît de son prénom que j'ai choisi de ne pas utiliser pour que le personnage que j'ai dépeint par petites touches maladroites ne soit pas confondu avec l'être réel, charnel et pensant. Lui-même aurait sans doute vu les choses d'une toute autre manière et par extension ne les aurait pas contées ainsi - par flexion non plus, d'ailleurs. C'est également lui qui initial l'idée du voyage. Lui qui sut rebondir quand perdu dans les hautes sphères de mon indécision je ne savais ni où aller ni que dire. Lui qui eut l'idée de me faire jouer de la guitare dans une voiture, toute Fiat Ulysse soit elle. Si j'affirmais que c'est aussi lui qui a permis au soleil de briller chaque jour on m'accuserait à raison de tomber dans l'éloge ou la flagornerie. Ce d'autant plus que Le_neptunien n'aimant pas la chaleur n'aurait jamais eu l'idée saugrenue d'un ciel sans nuages ! Ce récit lui est dédié...attention, il n'est pas mort, hein ! Peut-être est-il frappé d'apoplexie en lisant mes imbécilités mais je décline toute responsabilité, il était prévenu.

Dans cette histoire il ne faudrait pas oublier le rôle prépondérant joué par Ulysse sans laquelle le voyage nous aurait pris un temps bien plus considérable qui aurait de loin outrepassé les congés du Neptunien - oui, y en a qui bossent. Ulysse fut fidèle compagne et si je lui ai donné forme presque humaine tout au long du récit c'est que dans les récits moyenâgeux les cheveux étaient quasiment personnifiés, je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour les voitures.

Remercier l'Angleterre serait tomber dans une grandiloquence coupable. Remercier les touristes, les serveuses et serveurs, les laveurs de pare-brise, les gérants de musée, tous les malheureux de la garde royale pris en photo par toutes les béatitudes humaines du monde et contraints par 32° au stoïcisme flegmatique pour perpétuer la tradition; les plages anglaises, la démocratie représentative et ses monuments, Nelson et Napoléon désormais copain comme cochons cadavériques sous l'arche malléable de l'histoire...Oui, remercier tout cela viendrait peut-être à l'esprit d'une personne un brin arrangeante. Si je ne le ferai pas c'est par manque de place et de temps et parce que la litanie annuelle des remerciements bidons aux Césars suffit à atteindre le quota d'hypocrisie enrubannée de bons sentiments.


Y aura t-il un supplément au voyage de Tezorc Irtimid ? C'est fort peu probable: je ne vois pas comment les os de Diderot pourraient rédiger quoi que ce soit aujourd'hui. Il leur faudrait d'abord sortir du cercueil pour trouver feuille de papier ou tablette numérique et dans ce deuxième cas apprendre à s'en servir. Au vu du temps nécessaire pour les septuagénaires pour apprivoiser l'objet, je n'ose imaginer que l'éternité suffirait pour un multi-centenaire.
Il y aura peut-être en revanche d'autres récits de voyages écrits de ma main, le plaisir pris à rédiger celui-ci suffira comme moteur.

Je finis ce récit deux points. Premièrement, pourquoi ne pas l'avoir écrit en anglais ? Parce que le jour où je partirai en Russie il me sera difficile d'écrire en russe, je garde donc le français comme socle. Deuxièmement, ce jeu de mots: "Pour que meure l'Angleterre il faudrait que la langue l'enterre". Comprenez: les mots sont parfois puissants et assassins et peuvent détruire jusqu'au prestige d'un pays; les miens ne tueront que mon prestige depuis longtemps chancelant et auquel je tiens peu. "God save qui couine !"
 

Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
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jeudi 18 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 6 - 19/07/2013

Chapitre 6 - 19/07/2013

Jusqu'ici nous avions été plutôt gâtés concernant les lieux que nous traversions: ruines de Tintagel dominant la mer, routes de Cornouailles joliment entourées de haies et forêts (je ne vous dirais pas que ça rime, vous rétorqueriez que je radote, roches et phare de Portland, hauts lieux de l'histoire londonienne...non, indéniablement nous vîmes de très belles choses. Puis arriva Brighton. L'un de nos derniers lieux de passage et celui qui ne restera pas dans ma mémoire pour les plus glorieuses raisons qui soient.

Nous nous étions levés tranquillement et Ulysse nous amena avec son habituel sérieux consciencieux vers le sud, retrouver la côte et la mer qui nous avait cruellement manqué la veille lors de notre escapade en capitale. Brighton fut atteinte en début de matinée. Moi, je l'étais depuis longtemps (atteint). 

Fut-ce le soleil, au tapage diurne ravageur sur nos crânes ? Fut-ce la malchance? Fut-ce la maladresse ? Toujours est-il que lorsque nous posâmes Ulysse sur les places de parking qui longent la côte et descendîmes vers la plage, nous en eûmes assez peu pour notre argent - heureusement nous avions encore une fois fraudé, atteints (encore !) d'un accès de cécité soudain en passant devant le parcmètre. La plage était non seulement parfaitement quelconque dans sa forme - les plages bretonnes ou même de Portsmouth présentant l'intérêt d'un paysage joliment varié - mais c'était en plus une plage...naturiste ! Chose dont, dans la grande sagacité qui m'anime, je ne m'aperçus qu'après une bonne dizaine de culs nus. Comment convaincre Le_neptunien par la suite que la pratique naturiste était bien loin de mes hobbies, et plus encore de mes préoccupations ? Nous quittâmes les culs nus avec grande dignité- et avec des vêtements - mais j'exagérerais à peine si j'affirmais que ce spectacle eut au moins l'avantage de mettre du piment dans le pudding mou que me sembla être Brighton? Le piment dans le pudding étant vraiment un mélange infect rien qu'à l'imaginer, je pense avoir réussi par cette image à convaincre Le_neptunien que le naturisme et moi c'est à peu de choses près comme une brosse à cheveux et moi. Je salue cependant tous les naturistes qui ne me lisent pas, les félicitant de savoir s'abstraire et s'extraire des délires consuméristes vestimentaires qui ont cours jusqu'à la plage - jusque dans l'eau !

Reprenant Ulysse sur son parking et sans la moindre amende nous cherchâmes à trouver un lieu dans le centre-ville pour, une dernière fois sur le sol anglais, ravitailler nos panses. Et si les gens sont nus sur les plages à Brighton, les places de parking sont quant à elles bien habillées de voitures. Nous eûmes le grand malheur de nous engager dans une voie dans laquelle un véhicule de la fourrière était en plein opération en train de déposer une voiture récupérée Dieu sait où...à moins qu'il n'ait été à ce moment là en train  de mater les naturistes, Dieu fait ce qu'il veut. Après quelques minutes la voie se libéra et à la grande joie du Neptunien qui trépignait d'impatience contrite et de fatigue qu'on traite (en dormant) nous pûmes à nouveau installer confortablement Ulysse sur une place. Et, à nouveau, nous nous découvrîmes aveugles face à la machine indiquant P comme parcmètre, payer, parking et pasteurisation (ce récit ne parle pas du tout assez de lait).

Dans la rue longeant la mer, perpendiculaire à celle où reposait Ulysse en paix (bien vivante et bien en plein cagnard) se trouvaient deux ou trois restaurants aussi vides que la pizzeria londonienne de la veille. Nous en choisîmes un car si nous étions aveugles nous n'étions pas sourds aux protestations de nos ventres. La faim et le pifomètre entremêlés furent cette fois-ci plutôt de bons conseillers pour le restaurant où nous mangeâmes tout à fait convenablement. Qu'il y ait des frites et de la viande au menu n'étonnera personne parmi ceux ayant lu les 54 pages précédentes. Et que je ne me souvienne plus de ce qu'était la viande en question ne surprendra aucun cerveau attentif aux lacunes béantes de mes descriptions dans ce récit que j'ai fait le choix de rédiger sans notes ni recherches ce qui en limite certainement la portée factuelle.

Sans larmes, ni haine, ni violence nous sortîmes de notre ultime rendez-vous culinaire en territoire britannique et nous retrouvâmes Ulysse, toujours au soleil et toujours sans la moindre amende à déplorer. Ce qui prouve plus notre chance que d'éventuelles déficiences du système policier anglais. Partir de Brighton fut comme on peut le deviner à la lecture des paragraphes précédents un déchirement tout relatif pour nos petits cœurs pleins du seul marin que nous nous apprêtions aussi à quitter sous peu. Nous avions une marge assez grande jusqu'à l'heure d'embarquement (une heure qui ne ment pas) de notre ferry, à savoir 20h maximum pour un départ à 20h50... sur le papier. Nous passâmes devant une plage alors que je m'étais mis de nouveau à jouer de la guitare côté passager...

J'ouvre ici une 284ème parenthèse pour souligner que jouer de la guitare sur route est un défi ardu - surtout pour un musicien si peu expérimenté que moi. Plaquer des accords avec un manche tremblotant, pour le maladroit que je suis de surcroît, est un exercice de style périlleux. Ajoutez aux soubresauts occasionnés par le goudron le bruit du moteur, les virages et ronds-points transformant le Fa en Fa# (donc en fadaises) et autres péripéties occasionnelles et vous comprendrez...que ce fut un vrai plaisir !

Nous passâmes devant une plage, narrais-je, quand Le_neptunien eut la bonne idée de proposer une baignade. Quoi qu'un peu paumée et en quasi bord de route la plage en question n'en était pas moins plus agréable qu'à Brighton. Plus vide, aussi, mais moins nue. Le paisible plutôt que le bétonné. Et le silence plutôt que l'effervescence des citadins en attirails de vacanciers côtiers, bariolés de couleurs et variolés de réflexes d'urbains par sortis ni du sable, ni de leur bain quotidien de stress. Dans leur majorité les plages anglaises me laisseront un souvenir plutôt bon - beaucoup plus que les serveurs et je ne parle même pas des serveuses. Et puis la Manche fut moins irritante pour ma peau de bébé brûlé au deuxième degré que d'autres eaux. S'il fallait trouver les arguments les plus futiles pour conseiller un voyage sur la côté sud anglaise je crois bien que j'ai déniché là des pépites d'argumentation vaseuse !

Le bain effectué nous remontâmes à bord d'Ulysse désormais rodées aux marche-arrêt que nous lui imposions sans cesse ni vergogne. Douvres était notre ultime point de chute (mais pendant le séjour point de chute à déplorer) en ce cinquième jour du voyage mais avant de prendre le ferry Le_neptunien fut traversé d'une illumination, d'une idée fulgurante, d'un éclair de lucidité post-prandial dont il a seul le secret: "Tiens, si on lavait le pare-brise de la voiture ?". Le pare-brise était crado, il faut bien l'admettre. Je ne commenterai pas en revanche parce que j'ai bon fond l'opportunité pressante de laver les vitres en Angleterre plutôt qu'en France et ce alors que nous n'avions plus un sou sur nous en liquide local (la livre, pas le whisky). De surcroît nous étions déjà arrivés dans la voie du port menant à notre ferry lorsque Le_neptunien s'agita de ce besoin urgent. Ce qui occasionna un magnifique demi-tour pour sortir du port en suivant une chouette. Car, oui, dans le port de Douvres le panneau indiquant la sortie est surplombé d'une chouette (un dessin de chouette, hein, pas une chouette empaillée...quoique je n'ai pas vérifié).

Chouette ! Nous trouvâmes non loin de là une première station de lavage...mais on ne pouvait y payer qu'en liquide. Puis une deuxième station, de lavage à la main cette fois. L'employé qui nous vit arriver eut sans doute pitié d'Ulysse, son pare-brise tâché de toutes parts et son immatriculation française. Cela lui rappela peut-être ses aventures, ou celles de sa famille, pour immigrer en Grande-Bretagne car il n'avait pas le physique de l'anglais pur souche (Un "Nan mais t'as vu ta tronche, à toi ?", me paraît ici approprié mais je ne veux pas influencer les réactions du lecteur). Toujours est-il que ce fut gratuitement, mais cette fois sans frauder, que deux des employés de la station astiquèrent le pare-brise d'Ulysse qui se sentit certainement soulagée de quelques grammes. Quant à nous autres passagers nous n'avions plus l'impression de rouler dans le brouillard. L'employé qui nous avait accueilli nous salua en français d'un "Au revoir !". J'en tire la conclusion suivante: pour avoir des serveurs corrects au Royaume-Uni il faut manger dans une station de lavage. Bien sûr c'est risqué d'un point de vue alimentaire... à la limite, emmener son propre repas et le manger avec les "boys" de la station pourrait fonctionner. C'est une idée à creuser.

Nous pouvions désormais retourner à l'embarquement du ferry. Nous aurions pu y aller les yeux fermés, connaissant désormais le chemi, mais se priver d'un pare-brise presque immaculé eut été criminel. Pour la deuxième fois nous passâmes devant le guichet d'accueil. Clin d'oeil appréciable, le guichet en question ouvrait de nouveau alors même que nous arrivions ce qui nous permit de gruger royalement tous les véhicules alignés dans la seule file d'attente encore ouverte jusqu'alors. La joie teintée de mesquinerie fut donc l'un de nos derniers sentiments sur le sol anglais et je n'en suis pas fier. Mais c'était tout de même assez jouissif d'imaginer les mines dépitées des conducteurs, volant à droite ou à gauche, que nous doublâmes tranquillement. Après tout j'ai donné au fil de ce récit suffisamment d'éléments pour que nous soyons tous deux - ou trois - moqués. Quelques coups de griffe pour les autres ne sauraient être de trop.

Le ferry qui nous accueillait, nommé Berlioz, était le symbole de toute une histoire. Histoire sociale d'abord parce que la compagnie Myferrylink qui l'exploite n'est autre que la proche descendante de Sea France dont les difficultés firent les gros titres il y a quelques années. Histoire économique ensuite car la même compagnie est au cœur d'un litige. La commission britannique de la concurrence a demandé l'arrêt des activités de la compagnie au motif que les prix pratiqués nuisent au marché de la traversée de la Manche. Hasard du calendrier cette décision de la commission tomba le lendemain du jour où nous réservâmes. Preuve supplémentaire de mon flair infaillible puisque c'est moi qui avait choisi la compagnie.

Qu'on se rassure, le ferry nous ramenant à bon port français était bien là en ce 19 juillet. Entre une décision de commission et son application bien des mois peuvent s'écouler* d'autant plus que compagnie et gouvernement français ne l'entendent pas de cette oreille - ni de l'autre ... est-ce encore la faute de ce satané accent anglais ? 

Bien sûr, le ferry ne partit pas à l'heure. Cela permit au Neptunien de faire un comparatif poussé des clients de Britanny Ferries, compagnie empruntée à l'aller, et de Myferrylink, compagnie low-cost. Incapable de me doter d'un œil aussi acéré que le sien sur ces choses là je ne tenterai pas une synthèse de ses pertinentes conclusions mais je puis résumer la chose ainsi: il y avait plus de pauvres au retour. Entendez par là, à ses yeux, (Oui, entendre à ses yeux !) des gens moins bien éduqués donc plus bruyants, des enfants chamailleurs et peu respectueux du touriste habitué à d'autres standings. Le voyage ne durant qu'une heure et demi à peine et avec un passage dans la splendide cafétaria proposée à bord - le prix des plats avoisinait le prix des billets - Le_neptunien et moi supportâmes fort bien les désagréments.

Pour tuer le temps au lieu de tuer des enfants et des pauvres bougres nous nous mîmes à l'un de ces jeux typiques de files d'attente de parcs d'attraction. L'un donne un mot, le suivant donne un mot commençant par la dernière syllable du premier mot, et ainsi de suite. Exemple: cétacé - céphalée - lépidoptère - termite - mythologie - gisement - menteur - heure d'été (oui, expressions, noms propres et onomatopées sont tolérés). Les 90 minutes filèrent ainsi sans accrocs.

Et Calais, qu'allait bien, fut là (comme Pierre). Cela marquait la fin de notre séjour anglais, de ce petit road-trip où nos tripes ne furent pas trop mises à contribution. Tintagel, Portland, Portsmouth, Londres et Brighton, autant de lieux croisés fugacement laissant belles images et pour ma part moches photos, mais de beaux souvenirs.

Rejoignant Lille à droite et sans encombres nous pouvions féliciter Ulysse de son abnégation et Le_neptunien de la sienne. Il me plairait ici de trouver des raisons de me féliciter moi-même car j'adore ça, mais elles ne pourraient qu'être capillotractées Et il faudrait un tractopelle pour tracter ce qui se trouve là-haut perché anarchiquement sur mon crâne. Me réjouir je puis (Yoda le retour !) en revanche d'avoir pu vivre ces quelques jours en terre inconnue et sans Frédéric Lopez. De l'île à Lille, la boucle fut bouclée.. 



* La compagnie a fait appel. Le jugement est prévu pour fin octobre 2013.

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mercredi 17 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 5 - 18/07/2013

Chapitre 5 - 18/07/2013

Dans le film musical "Les bien-aimés", de Christophe Honoré, l'un des personnages féminins se retrouve perdu divaguant dans Londres, éperdue d'un amour impossible qui lui a filé entre les doigts. Sur une musique et avec les mots d'Alex Beaupain qui a composé la BO du film, elle chante :
"Ici Londres, j'appelle, je sais plus d'où
J'ai du confondre c'est le fog et tout est flou
Est-ce le brouillard, ou moi qui suis noire?

Ici Londres, j'appelle, je sais plus qui
Personne pour répondre, aux stations pas de taxi
Est-ce la Tamise ou moi qui suis grise ?

Ici Londres, j'appelle, je sais plus quand
Big Ben a du fondre et il est plus d'heure à présent
Est-ce Oxford Street, ou moi qui suis triste ?"

Forcément la chanson me tourna dans la tête à plusieurs reprises alors que nous visitions Londres. D'autant plus qu'effectivement nous nous perdîmes quelque peu dans la ville et que le manque de sommeil me mena dans la matinée à quelques sautes d'humeur au sein de l'épaisse coquille formée par mon cerveau embrumé souvent de fog et de flou. Un manque de sommeil qui n'était pas pas dû à la qualité de l'hôtel, j'en rassure le lecteur qui s’inquiéterait de l’hôtellerie britannique qui est tout à fait correcte - à l'exception des serveuses qui ne sourient pas aux jeunes hommes trop chevelus, bien sûr... et des accents à couper à la machette.

Pour atteindre Londres depuis l'hôtel il nous fallait emprunter une navette nous amenant à la gare ferroviaire de l'aréoport de London Gatwick (2 minutes d'arrêt...©La Cité de la Peur). La dernière navette partait à 10h et nous étions bien sûr à la réception à ... 10h02. Coup de chance, la navette démarrait juste et nous l'attrapâmes au vol et ce bien que tout comme un ferry une navette ne vole pas dès lors qu'elle n'est pas spatiale. Enfin non, pas comme un ferry, parce qu'un ferry spatial,ça existe pas, faut pas mentir aux petits enfants qui ne me lisent pas.

Prendre le train vers Londres se fit ensuite sans frayeur, l'occasion de constater que les trains anglais sont...parfaitement quelconques. A ceci près que le notre partit à l'heure mais l'on ne saurait extrapoler sur l'efficacité du système ferroviaire britannique dans son ensemble. Peu après 11h la gare de London Victoria était là, majestueuse mais si peu Victorienne si l'on considère qu'une accumulation de commerces en tous genres n'a que peu de choses à voir avec la glorieuse histoire du pays et son pan victorien qui en fit, et fait, la fierté.

La chance semblait avec nous en ce début de journée. Non seulement nous n'eûmes pas à déplorer le moindre attentat terroriste mais en plus notre première destination était Buckingham Palace. Destination tout à fait banale mais pratique puisqu'elle ne se situe qu'à quelques minutes de marche de la gare Victoria. Destination heureuse en cela que la relève de la garde royale avait lieu, en ce jeudi comme chaque jour d'été, à 11h30 et que nous nous pointâmes (un verbe qui supporte assez mal le passé simple) à Buckingham à ... 11h30. Comme quoi l'improvisation a les vertus de la bonne - ou mauvaise - surprise. Ce serait mentir cependant que de déclarer que le spectacle de la relève est bouleversant, remue le cœur et les tréfonds de l'âme, étourdit l'esprit de son éclat et mène le corps aux frontières de la jouissance et des limbes de l'onirisme. Un être rétif au poids de la tradition comme je le suis se devait de trouver quelques réserves à l'exercice hautement costumé et chorégraphié qui se présenta à nos vues ce qui ne m'empêcha pas comme tout clampin béat à juste titre de prendre des photos - et de les rater, comme tout clampin n'ayant d'usage de son appareil photo que pour capter des moments de vie qu'il finit par ne pas vivre du tout à force de se cacher derrière son appareil...

Il ne faut pas conclure de cette saillie mesquine que toute forme de tourisme me répugne auquel cas cette semaine n'aurait été qu'un grand moment de masochisme. J'ai sans nul doute quelques difficultés avec le tourisme du "Faut avoir vu ceci, faut se souvenir de cela, faut acheter cela ici et ceci là". Une forme dangereuse car seules comptent alors façades et cases cochées dans le guide du bon visiteur. Telle est ma réticence vis-à-vis de l'activité touristique: programmer laisse souvent moins de place à la découverte que se laisser surprendre et errer - et puis de toute façon lorsqu'on programme d'aller à un endroit on se perd si souvent qu'on finit par errer, mais desesp-erré.

Cette précision effectuée sur mon état d'esprit - précision qui j'en suis sûr aura ému tout un chacun - je reprends le récit devant les grilles fermées de Buckingham Palace assaillies de touristes. Le monument restera façade pour nous mais on ne peut nier son imposante majesté, sauf quand je le prend en photo de travers. Est-ce la multiculturalité culinaire de mon séjour qui se transvasa à l'architecture, de telle sorte que ma main tenant maladroitement l'appareil se mit en mode "Tour de Pise ?". Dans ce cas, l'arc de cercle que nous traçâmes ensuite pour contourner la foule serait une référence au Colisée ? C'est sans doute aller un peu loin dans l'extrapolation d'autant que nous croisâmes bien plus de français que d'italiens en ces lieux. Français qui râlaient, en général. Ce n'est donc pas en cet été 2013 que s'améliorera l'image du touriste français, j'en ai peur, alors que Le_neptunien et moi arboriions un sourire de tous les instants. Et si tu m'crois pas,hé...vous connaissez la suite !

St James Park se présenta ensuite à nous, et ce bien que St James Park soit dépourvu de parole et du moindre sens de la politesse. Un long parc boisé, verdi (comme Giuseppe) à souhait mais dont je ne profitai pas à plein puisque je choisis ce moment pour me poser des questions existentielles sur le sens de la vie et de la mienne. Ainsi que le film du même nom des Monty Python le laisse caustiquement supposer, le non-sens de la vie est une notion beaucoup plus intéressante et facile à gérer dès lors qu'on l'accepte. Un vaste travail que la traversée du Park ne suffit pas à mener à terme. Au milieu de ces méandres psychiques notre chemin nous mena jusqu'à Trafalgar Square et son monument en hommage à l'admirable Nelson qui, tout admirable qu'il fut, mourut en se prenant un gros boulet de canon dans la che-tron. Les armes n'ont aucun respect pour la grandeur des hommes et elles parviennent même à annihiler toute grandeur en eux - faire "pan pan" est tellement rigolo, surtout quand ça gicle !

Sur le Square se préparait pour le soir (ça rime, en prononçant square à la française) un écran géant retransmettant (ça rime aussi) un opéra (ça rime plus). Pour l'heure la seule chose qui opérait était la chaleur. Disons plutôt qu'elle anesthésiait. Raison pour laquelle nous nous réfugiâmes dans la grande bâtisse de la National Gallery qui présentait la vertu majeure de la gratuité. En dépit de mon faible attrait déjà évoqué pour le musée en tant que lieu culturel je me laissai tenter par la clim...par les peintures, pardon (un seul et pas deux, car il n'y avait aucune photo de Depardon dans le musée). Ce fut l'occasion de croiser quelques noms connus même de notre commune inculture, surtout des noms français. Manet et Monet trônaient (ça rime à nouveau) côté à côté, l'occasion de vérifier qu'ils n'étaient pas Monet blanc et blanc Manet. D'ailleurs Le_neptunien indiqua sa nette préférence pour l'un des deux...mais je ne sais plus duquel des deux il s'agissait, Claude ou Édouard. Si la visite ne s'éternisa point ce n'est pas par manque d'intérêt mais bien par goinfrerie, l'heure du déjeuner ayant été plus qu'atteinte pour nos horloges internes.

Cohérents avec notre incohérence nous déjeunâmes...dans une pizzeria. Pour notre défense nous avions trouvé avant cela un pub dans lequel plus aucune place n'était libre et dont le charme ne suffit pas à nous convaincre d'attendre qu'une table se libère; le serveur nous convainquit encore moins, ne nous accordant qu'un vague intérêt à nous et à notre détresse alimentaire toute relative. La pizzeria, elle, était pour ainsi dire vide ? Ce qui n'empêcha pas le serveur de combiner avec grande dextérité incapacité au sourire (ça me rappela deux serveuses), lenteur au servir  et nonchalance dans l'inaction qui forcèrent mon admiration alors même qu'un papier publicitaire vantait les mérites de l'enseigne, le visage éclairé et la disponibilité sans faille des serveurs. A sa décharge il était assez tard surtout pour un anglais et il me paraît probable qu'il fut fatigué. Je le lui accorde bien volontiers, et ce alors qu'il ne me reverra sans doute jamais et n'a rien demandé, car j'étais moi-même d'une lourdeur patraque assez remarquable.

Sous le soleil de plomb qui enfermait Londres dans le cocon étouffant de sa pollution la suite du programme nous attendait. "Big Ben a dû fondre" s'avéra n'être que parole de chanson car Big Ben était bien là quand nous nous approchâmes après un peu de marche - tout faire à pied ne fut pas la moindre de nos fiertés. L'opportunité d'une énième photo débile - moi, dans une cabine téléphonique rouge dépassant aisément les 40° en son intérieur, faisant semblant de répondre au téléphone (moi, pas la cabine). Tout cela se déroulant sous le regard de Big Ben, qui n'a pourtant pas d'yeux (ni maître), en arrière-plan. On s'amuse comme on peut ! A côté du gros Ben se trouve le parlement anglais, haut lieu de la démocratie anglais, avec House of Commons et House of Lords (la part de démocratie réservée aux nobles) mêlés dans un beau bâtiment. Sans faire injure au Palais Bourbon, bien sûr, ni à celui du Luxembourg très jolis aussi mais moins anglais - merci Cap'tain Obvious. Certaines mauvaises langues persifleront que ce qui se trame entre les murs n'est pas digne de cette façade mais je m'inscris en faux. Il est bien connu en effet que les députés ou sénateurs, ou Members of Parliament, font bien plus de dégâts en dehors de leurs palais respectifs que pendant les séances. Mais, une démocratie d'incorruptibles nécessiterait des élus enfermés toute l'année, 24h/24, sans lien avec l'extérieur et les forces du lobby. Une démocratie d'incorruptibles serait donc déconnectée de tout. Le grand paradoxe du système démocratique !

Sur ces considérations politiques d'un très haut niveau (la hauteur d'un comptoir de bar) nous étions en quête d'un autre monument English Hertiage, la Tour Jewel. Un peu à l'image du château de Portland il eut fallu une vision bionique pour trouver au premier coup d’œil cette petite tour qui servit jusqu'à la fin du XIXème siècle d'entrepôt pour les archives de la Chambre des Lords. C'est là que réside l'essentiel de l'intérêt de la qui n'est pas par ailleurs, et à juste titre, le monument le mieux indiqué de Londres. Elle fut cependant le théâtre de quelques péripéties et survécut notamment à un incendie qui ravagea les alentours en 1834, une bonne partie des monuments de Westminster étant touchés ... sauf la Tour Jewel qui résiste encore et toujours au fire envahisseur (ça rime, mais en prononçant 'fire' à l'anglaise, cette fois). Construite en 1364 par Edward III la tour fut également le lieu de quelques chamailleries entre d'un côté la Royauté)ça rime) et ses proches jardins, et de l'autre les ecclésiastiques et leur proche Abbey. Ces derniers durent séparer la tour de leur bâtiment car le roi ne souhaitait pas que la construction empiète sur ses précieux "gardens". Ils le durent, avec un mur, ce fut dur et ça dure (ça rime plein de fois !) encore puisque le mur construit à l'occasion fait partie la Westminster School. Oui, une vraie affaire de cour d'école !

Comme quoi même une modeste tour un peu excentrée et cachées peut renfermer bien des histoires, preuve supplémentaire qu'il y a beaucoup moins de grands monuments que de petites histoires piquantes. Un peu fatigués et en sueur il nous parut judicieux à moi ainsi qu'au Neptunien qui s'endormait de nous poser dans le parc jouxtant la Victoria Tower, juste en face de la Tour Jewel et à côté du Parlement. Raconter deux heures de sieste - pour lui - ou d'écriture - pour moi - serait périlleux au vu et au lu du fourmillement d'inutilités tartinées dans ce récit. Mains ainsi revigorés par cette pause à l'ombre fraîche d'un arbre, non loin de jeunes s'entraînant au foot, nous pûmes donner notre dernier coup de rein du jour.

Direction Piccadilly Circus et ses enseignes chatoyantes aux odeurs de souvenirs industriels à la pelle, et à l'appel. Pas du mien, ni de (de) Gaulle mais bien de nombreuses personnes à en coire la foule qui se massait devant Big Ben en assiette, Westminster Abbey en mug ou les Beatles en slip - les Beatles dessinés sur des slips, pas les vrais en chair et en os dénudés, je précise. Surtout que Lennon dénudé, dans son état actuel en os plus qu'en chair, ça n'attirerait que les esprits friands  de macabre...ça ferait un paquet de monde quand même à bien y réfléchir. Nous entrâmes dans un magasin et tandis que je fermai les yeux Le_neptunien s'acquittait lui sans mes bêtes arrière-pensées de la tâche qu'il s'était fixée: trouver quelques cadeaux et souvenirs pour les membres de sa famille. Vêtements et vaisselle en main - en cas plutôt - nous partîmes en quête de notre quête désormais routinière, celle d'un lieu pour nous rassasier. Au moins savions-nous cette fois où aller puisqu'en nous rendant à Piccadilly 'Consumption' Circus nous étions passés devant un de ces restaurants où la nourriture circule sur des tapis roulants, le client n'ayant qu'à choisir parmi ce qui lui passe devant le nez. Ou le dos...après tout si le client a envie de s'asseoir dans l'autre sens grand bien lui fasse, le client est roi après tout, surtout en Angleterre? Même si attraper un plat devient alors péripétie. Petits jours nous nous installâmes de face et mangeâmes. Le restaurant était spécialisé dans les sushis et pour une première, en ce qui me concerne, l'expérience ne fut pas du tout désagréable une fois s'être fait à l'idée de manger devant la cuisine du restaurant.

Plat après plat notre faim s'estompa (devinez quoi...ça rime !) alors que le soir tombait sur Londres. Sortant du restaurant nos pas nous menèrent avec notre fougue restante vers Trafalgar Square à nouveau, où était diffusé sur l'écran installé le matin un opéra. Lequel était-ce, mon ignorance en la matière m'interdit de le préciser. Je puis conter qu'une femme y assassinait froidement un pauvre homme avant d'user de toute sa voix, réalisant l'horreur de son acte, pour psalmodier avec les yeux exorbités d'un lémurien quelque complainte, déchirante, grimpant dans les aigus sur la colonne de Trafalgar Square - heureusement que Nelson s'est pris un boulet, il était déjà déchiré donc immunisé, du coup. Le moment s'acheva bien vite car nous étions arrivés pour la fin, rejoignant une foule très conséquente.

Nous possédions encore un peu de temps, il nous fallait être à minuit au plus tard à l'aéroport de London Gatwick pour attraper la dernière navette nous ramenant à l'hôtel. Ce fut l'occasion pour nous de poser nos séants assez peu royaux sur l'herbe et sous l'arbre d'un espace vert non loin de là, à la nuit tombante offrant nos attentions un brin fatiguées. C'est dans cette douce quiétude que l'heure de retrouver la gare Victoria arriva. Le retour en train permit de se coltiner une famille de français qui occupait avec grande application l'espace sonore alors même que ses membres se sustentaient et que, c'est bien connu, on ne parle pas la bouche pleine quand on est bien élevé. Sur ce nouveau coup porté au prestige de notre glorieux hexagone, prestige en pleine hexagonie, c'est bons pieds bons yeux que nous montâmes ensuite dans la navette, ni spatiale ni spéciale, qui contenait la bagatelle de ... trois voyageurs, nous compris.

Cachant au mieux notre appartenance à la tribu des mangeurs de grenouille - ce que je fis d'autant plus facilement que je n'aime pas ça, les grenouilles - nous avions survécu à l'enfer londonien ! Bien sûr, un jour de visite est un laps de temps bien court pour tirer la substantifique moelle d'une ville telle que Londres mais Le_neptunien pourrait certainement narrer avec force détails tout ce qui fait la particularité de Londres? Comme ce n'est pas lui qui écrit, il faut se rendre à l'évidence, ces détails architecturaux, vestimentaires, signalétiques ou capillaires (ça rime une dernière fois) resteront en son âme - et conscience.

Le crochet par Londres représentait déjà l'avant-dernier jour de notre traversée ouest-est de la côté sud anglais. Un jour encore et le lendemain soir notre ferry nous ramènerait à Calais rouler à droite et cesser de donner la langue de Shakespeare au chat dans notre gorge, et à son accent bien français. Tout passe vite, et "le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants" ... ainsi que celui de Miss Maggie si tant est qu'elle ait jamais ri (salut Renaud, toi qui nous a presque déjà quitté ... et cuité).

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mardi 16 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 4 - 17/07/2013

Chapitre 4 - 17/07/2013

André Gide l'a écrit : "Il faut suivre sa pente, à condition de toujours la remonter." Fidèles à ce bon vieux Dédé, nous partîmes en ce 17 juillet de l'auberge de jeunesse de Portland vers les hauteurs de l'île. J'étais tout revigoré, pas tant par la nuit de sommeil que parce que j'avais réussi le matin à entretenir une conversation de plus de cinq minutes avec notre camarade de dortoir. L'homme, un anglais venant de Bristol, devait caresser la trentaine. Je parle ici de son âge et pas de ses pratiques nocturnes dans les dortoirs de 32 personnes, pratiques que j'ignore puisque notre dortoir avait une capacité limitée à 6 personnes.

Courageux, il avait entrepris un voyage à pied dans la région et crapahuté la veille sur plus de 30 kilomètres. Je ne demandai pas à cet homme aussi sympathique que chauve si c'est là qu'il avait perdu ses cheveux et ne lui proposai pas non plus de lui prêter les miens. C'est que je possède des cheveux uniques, que nul autre organisme ne saurait gérer. Le marcheur nourrissant quelque envie de visiter la France je me fis bien entendu un devoir de lui conseiller la Creuse dont les GRs sont probablement les endroits les plus excitants.

Si nous partîmes, cœur vaillant, vers les reliefs de l'île c'est aussi parce que nous avions eu droit à un "English breakfast" préparé spécialement par la demoiselle qui savait visiblement couper autre chose que son accent avec la machette. Nous mangeâmes dans une salle décorée de deux tableaux, l'un décrivant moult manières de faire un nœud ce qui eut été utile si je ne possédais pas deux pieds gauches en lieu et place des mains, et l'autre présentant les différents drapeaux qui peuvent être hissés par un navire. Un code extrêmement précis et fouillé, il me semble que le drapeau "Passe-moi le sel" était bleu à pois blancs.

Champignons, haricots, saucisse et bacon. Tel est le "English breakfast". A 8h30 du matin le défi est d'abord psychologique surtout lorsque comme moi on est assez peu friand de champignons, et à ce à toute heure. Mais en dépit des réserves initiales issues du conservatisme latent en mon esprit obtus il faut bien admettre que l'expérience matinale ne fut pas désagréable, loin s'en faut. Le café-haricots n'est certes pas un mélange évident à première vue et à premier goût, mais au moins nous finîmes notre assiette avec la satisfaction du devoir accompli...et du costaud dans l'estomac.

Ainsi nourri, Le_neptunien conduisit avec la dextérité d'un Sébastien Loeb mais sans sa vitesse, ce qui est heureux pour les sièges d'Ulysse qui auraient assez peu goûté à la fantaisie d'être repeints de champignons tous droits issus des profondeurs de moi. Notre but était le château de Portland, autre lieu étiqueté "English Heritage" mais il s'avéra que la saucisse matinale ne possédait aucune protéine renforçant le sens de l'orientation. Les détours sans désagréments ainsi occasionnés nous permirent de nous arrêter sur un point de vue de l'île sur lequel des anneaux, cinq de leur nombre et olympiques de leur nom, célébraient le passage des JO de Londres non loin de là un an auparavant pour des épreuves de voile - cela va sans dire, mais mieux en le disant. Ce fut l'occasion d'une "photo débile" de plus: ma tête au milieu de l'anneau central.

Repartant vers le château nous arrivâmes au phare. Chose logique après tout: nous n'avions fait que suivre le fameux slogan "Plus vite, plus haut, plus phare" - tout se tient. L'important étant de participer nous fîmes un petit tour du phare, de taille moyenne (pas un très grand ni un nano-phare... ni un nénuphar) et prîmes des photos en bons touristes que nous étions. Le tout en laissant la voiture sur un parking payant que jamais nous ne payâmes - en bons escrocs que nous étions, sommes, serons et toutes les conjugaisons qu'il vous plaira.

Je sens de mon siège, qui est une chaise en plastique, vos entrailles se nouer, votre cœur se serrer, votre cerveau atteindre la surchauffe et vos nerfs s'agiter de mille décharges dont je me décharge totalement, face à la question suivante: avons-nous finalement trouvé le château de Portland ? Ce suspens insoutenable se doit de prendre fin avant que les lecteurs qui me restent ne trépassent d'hypertension: oui, nous le trouvâmes. Et en le dénichant nous comprîmes pourquoi nous ne l'avions pas trouvé immédiatement: outre son inutilité prouvée par la quasi-absence de combats qui s'y sont déroulés, le château de Portland est petit. Vraiment petit. Un châtounet, un castelet, un châtiot, prenez le néologisme qui vous sied et imaginez une bâtisse en pierres, de petite taille dans sa largeur comme dans sa hauteur, agrémentée malgré tout d'un jardin et d'une cour dans laquelle des canons pointent vers la mer qui s'en fiche bien. Son envergure limitée n'enlève rien par ailleurs à la bonne organisation de la visite qui offre notamment la possibilité de se grimer avec des costumes d'époque? Occasion inespérée pour une nouvelle séance de photos débiles avec en petit bonus pour moi une attente de 10 minutes, Le_neptunien étant au téléphone pour organiser la visite dont je ferai mention dans quelques lignes? Pourquoi ne retirai-je pas le costume durant ce laps de temps ? Parce que je suis un grand professionnel, et un gigantesque flemmard, preuve que les deux ne sont pas du tout incompatibles.

Sur la route de Brighton que nous suivîmes suite à ces palpitantes aventures vestimentaires (Palpites-tu, lecteur ?) se trouvait notre prochain objectif. Celui-ci était cher au cœur du Neptunien plus qu'au mien il faut l'admettre. Il s'agissait du musée des aéroglisseurs - hovercraft en bon anglais -, sortes de bateaux montés sur bouées qui jadis permettaient la traversée de la Manche en différents points (des villes de rêve: Le Havre, Calais...). La possibilité disparut dans les années 1990 face aux ferrys et au tunnel sous la Manche mais Le_neptunien se souvenait que gamin (ou minot, gone, petiot, choisissez la niaiserie locale qui vous convient) i lavait effectué la traversée sur un tel engin. Avanat d'admirer ces embarcations sur pneumatiques encore fallait-il trouver le musée et y entrer. Car le gérant, un certain Warwick, n'ouvrait ce dernier...que pour nous trois (Ulysse ayant bien le droit elle aussi d'observer ce qui était après tout des cousins de la famille Transport). Nous avions donc rendez-vous avec lui à 15h à l'adresse indiquée sur le site du musée. Impardonnable impair: nous étions en avance, et il s'avéra que le musée se trouvait au beau milieu de rien de moins qu'une base militaire. Les gardiens (qui se la pétaient un peu, quand même) nous demandèrent de revenir à l'heure du rendez-vous, Warwick n'étant pas encore là. Cela nous donna l'occasion d'aller dans un bar en bord de mer siroter un jus de fruit - et emplir son ventre, pour le vorace Neptunien, ou du moins en boucher quelques trous avec un sandwich au bacon.

A l'heure du rendez-vous, tous pimpants, nous ramenâmes nos fraises (une expression qui supporte assez mal le passé simple) à l'entrée de la base, et réglant quelques formalités d'inscription sur le registre des visiteurs nous pûmes ( un verbe qui supporte assez mla le passé simple) y attendre Warwick qui arriva en voiture flanqué de deux chiens tout à fait charmants. Beaucoup plus charmants que nombre d'êtres humains, fis-je par la suite la remarque au Neptunien qui soupira de mes postures pseudo-misanthropiques. La visite du musée put ensuite commencer. Le musée des aéroglisseurs ce sont en fait deux hangars remplis de ces machines, de toutes tailles et de toutes formes, avec entre les deux l'une des pièces maîtresses du lieu: un aéroglisseur, "The Princess Anne", ma sœur Anne, qui me vit bien venir quand j'y entrai. L'appareil pouvait recevoir plus d'une centaine de passagers et en visiter l'intérieur fut périlleux, non pas parce que des cadavres d'anciens passagers oubliés bloquaient le passage (un squelette s'enjambe, et sans jambes, très bien) mais en raison de la température. Celle-ci devait avoisiner les 60° une fois arrivé au fond de l'embarcation. Rien de bouleversant à voir, mais plein de sueur versant je continuai la visite. Pendant ce temps Le_neptunien s'était posé devant un film qui retraçait l'histoire des aéroglisseurs, film que j'avais abandonné au bout de cinq minutes. La fibre "musée" n'a jamais été en moi, en revanche la fibre "Sieste face à un écran allumé déversant longuement des informations pas toujours enivrantes" aurait fort bien pu s'activer arrivé à la douzième minute.

Pour tout détail sur l'histoire des aéroglisseurs, je suggère au lecteur de jeter un œil sur le site du musée car ce n'est pas dans ce récit que l'historique sera fait. Non pas que j'en serais complètement incapable mais ma carte mémoire a l'équivalent en capacité de ce que mon téléphone portable possède en modernité - c'est dire la faiblesse. Je consens à donner une date approximative de l'invention de l'aéroglisseur (les années 1960) mais au moins mon ignorance crasse de la simple existence de cette machine fut rectifiée en ce mercredi, jour des enfants. Enfants, nous le sommes tous face à la complexité du monde, a dit le philosophe qui ce jour là n'était pas très inspiré - ou peut-être s'était-il pris un aéroglisseur dans la tronche.

Outre la pure pédagogie cette déambulation en hangar eut la vertu de nous donner envie, après en avoir observé à l'arrêt, de monter dans l'un des rares aéroglisseurs fonctionnant encore et se trouvant pas très loin de là. Avant cela nous remerciâmes le sympathique Warwick, tapotâmes la tête des chiens (mais avec douceur, j'oserais même dire que nous les hypo-tapotâmes) et payâmes...en euros. Car, sots que nous étions, sommes, serons et toutes les conjugaisons qu'il vous plaira, nous n'avions plus sur nous le moindre billet en livres de ceux retirés à Tintagel. L'avenant Warwick accepta nos euros après avoir converti la note avec un taux de conversion tout personnel qui d'après un calcul effectué par la suite nous arrangeait plutôt. Attention, je parle ici de trois ou quatre euros grappillés dans l'affaire, pas du casse du siècle.

Ces complexes opérations monétaires effectués, nous nous dirigeâmes vers Portsmouth. Près de la ville se trouvait le lieu de départ de l'éaroglisseur desservant régulièrement l'Isle of Wight. Trouver le port fut le premier défi à relever; ne pas s'étrangler de stupeur contrariée face aux tarifs pratiqués pour faire de la BGV (Bouée à Grande Vitesse) fut le deuxième et se révéla rédhibitoire? Nous fîmes un splendide demi-tour et partîmes vers la plage y tremper les pieds. L'eau était bonne, assez pour me donner envie d'y immerger également le reste de mon corps? Un aller-retour vers Ulysse et un maillot de bain plus tard, je fus plongé dans une mer d'huile? Peu de baigneurs étaient à dénombrer ce qui tout en prouvant la grande frilosité de l'être humain m'offrit un calme plaisant, un "balmy" moment comme ils disent là-bas, un paisible temps de baignade. Par rapport à la mer Méditerranée, la Manche possède bien des vertus. Outre le fait de pouvoir respirer sur la plage sans profiter des effluves de la crème solaire étalée dans le dos du voisin collé devant soi, la possibilité de ne pas surchauffer deux minutes après la sortie de l'eau est aussi agréable. Bien sûr, le pendant est un claquement de dents pendant cinq bonnes minutes et je ne traiterai pas ici la question de savoir ce qu'est une bonne minute par rapport à une mauvaise. L'essentiel est ailleurs: il fut dans le petit havre de tranquillité que constitua cette plage près de Portsmouth. Finalement l'aéroglisseur ne nous manqua pas de trop, Le_neptunien se contenant de prendre photos et vidéos des appareils partant de, ou arrivant au lieu prévu à cet effet.

Ce rafraichissement effectué pour ma part, l'heure frappa à la porte de ses impitoyables coups marquant le rythme des routines si bien intégrées qu'elles en deviennent invisibles. Le hasard fait bien les choses: à côté de la plage se trouvait un restaurant qui pour autant qu'il n'était pas là du tout par hasard et ciblait un clientèle de touristes, possédait l'avantage de son positionnement parfait en bord de mer, avec vue sur les bateaux circulant ici et là. Cela, et une carte ratissant assez large et sans excès de tarifs contrairement à l'aéroglisseur voisin? Pour preuve tandis que Le_neptunien tentait le Fish & Chips je me fis...un burger. Je sens la mine révoltée du lecteur refléter ses pensées agressives à mon endroit: "Hé, l'autre, il va en Angleterre pour se goinfrer de pizzas et de burgers, ça valait bien le coup de payer le ferry, gna gna gna...". Ce à quoi je répond que je fais ce que je veux et qu'il s'agissait bien évidemment d'une démarche sociologique soulignant le caractère multi-culturel de l'Angleterre en m'organisant un périple culinaire aux saveurs variées, de l'Italie aux Etats-Unis en passant par la baguette bien française. Oui, je l'affirme, tout cela fut démarche intellectuelle et non fainéantise exacerbée. Oui, ce fut acte engagé voire politique et non réflexe éhonté de consommateur lambda au cerveau perverti par les consumérismes culinaires en vigueur dans nos belles sociétés occidentales. Oui, ce fut étude philosophique et non goinfrerie de bas-étage. Oui, si tu m'crois pas, hé, t'ar ta gueule à la récré !

La conclusion de cette étude s'est imposée à moi et je ne résiste pas au plaisir de la livrer à vos esprits sagaces avant que vos  esprits ne s'agacent. Cette conclusion, la voici: Oui, on peut se goinfrer de nourriture bien grasse et saupoudrée de soft power américain - aussi appelé ketchup - partout. Oui, on peut devenir un gros tas obèse en tout lieu, nulle discrimination pour ce qui est de consommer tout et surtout n'importe quoi, j'y reviendrai. Oui, j'utilise beaucoup de fois le mot "oui" en ce moment, mais c'est une anaphore, d'abord !

En attendant (que mon étude soit publiée aux Presses Universitaires de France) nous dégustâmes nos mets respectifs, les yeux se promenant sur l'eau délicatement agitée de soubresauts à peine dignes d'un Parkinson en début de carrière - que de poésie ! Quelques tables plus loin un enfant faisait des siennes auprès de sa mère (et non de son père, auquel cas ç'aurait été des persiennes) à grands coups de décibels. Cela m'inspira quelques remarques sur la meilleure façon de noyer un enfant mais qu'on se rassure je ne passai pas à l'action - sa mère me devança. Mais notre repas fut surtout égayé par l'observation minutieuse des trois serveuses différentes que nous eûmes à notre disposition - en tout bien tout honneur. Le_neptunien parvint à lire sur le seul visage de l'une d'elles qu'elle était trentenaire, mariée, avec un enfant, vivant en appartement. Tout ça sur son seul visage, Le_neptunien est un physionomiste amélioré. Les deux autres serveuses, plus jeunes, effectuaient certainement là un job d'été. Mais ce qui retient davantage mon attention fut les sourires que les serveuses adressaient au Neptunien et pas à moi, au moins pour deux d'entre elles (la trentenaire et une blondasse). Mon attrait tout relatif pour la gent féminine et plus encore la gent féminine trentenaire ne m'empêcha pas d'être affreusement (et bâfreusement, puisque je me bâfrais en même temps) vexé de cette absence d'attentions à mon égard alors que je sortais de l'eau, teint frais et œil vif, mine légèrement hâlée et muscles saillants...ouais, bon, j'exagère un peu. Toujours est-il qu'un sourire ne les aurait pas tuées, si ?

Mon orgueil écorché en bandoulière je quittai le restaurant aux côtés d'un Neptunien triomphant. Notre direction était l'aéroport de Gatwick à mi-chemin entre Brighton et Londres, près duquel se trouvait notre hôtel. La route étant assez longue Le_neptunien trouva la parade pour que je me divertisse et pour lui assurer un fond sonore différent du moteur d'Ulysse et plus efficace que mes conversations. Ce fut donc en jouant de la guitare assis en biais côté passager que je passai une bonne partie du voyage. A part des regards un peu étonnés de ceux que nous croisâmes ("Ils sont fous ces français !" aucun problème ne fut à déplorer et sains-et-saufs nous arrivâmes à l'hôtel pour y dormir. Car le lendemain, dès l'aube, nous partirions à l'heure où blanchit la campagne (d'un soleil éclatant); vois-tu, je sais que tu nous attendais, Londres, pour que nous te célébrions de nos Contemplations (salut Victor !)

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lundi 15 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 3 - 16/07/2013

Chapitre 3 - 16/07/2013

Le mardi, le soleil se leva sur Plymouth et nous avec. Ou plutôt, nous un peu plus tard. L'astre lumineux ne nous quittait plus, et nous quittera plus, mettant à terre tout préjugé sur le fog anglais soi-disant omniprésent. Le seul programme de la journée était d'arriver bon port à l'île de Portland, en face de Weymouth, le soir. Ce fut de mon esprit torsadé par les multiples visionnages de Kaamelott que vint l'idée - l'une de mes seules de tout le séjour - d'aller au Nord de la Cornouailles visiter les ruines de Tintagel. Je n'aurais pu, de tout évidence, passer en Angleterre sans visiter le moindre lieu rattaché à la légende arthurienne. Car, outre Kaamelott, mes caractéristiques mentales me poussent à aimer plus encore les légendes et leur lot fourni d'incertitudes que l'histoire pure pourtant elle aussi traversée de légendes devenues faits admis - sinon avérés. Une visite, c'était le mini-minimum.

Avant le départ, une épreuve s'offrit cependant à nous: notre premier petit-déjeuner façon anglaise. Du moins, sur le papier. En bon touriste continental timoré et engoncé dans ses réflexes alimentaires je me sentis tout à la fois lâche, chancelant et valétudinaire au moment où s'offrirent à mes yeux des tranches de bacon entassées et affriolantes - ou affolantes, à mon goût. "A mon goût" n'étant pas la bonne expression, puisque goûter à ces aliments je ne puis point (si j'utilise ici une tournure à la Yoda, c'est bien parce que toutes ces journées près de la mer, ça me ioda diablement !). Pour moi, ce fut "continental breakfast", comme ils disent là-bas avec parfois une petite moue méprisante ou peut-être bien dégoûtée : céréales, viennoiseries et café suffirent à mon bonheur. A mon ventre, du moins, mais admettons que je l'ai rebaptisé "Bonheur".

Sur ces entrefaites - et entremets - nous pûmes partir vers Tintagel accompagnés du chant de l'oiseau sur les arbres verdoyants. Les routes anglaises, les petites notamment, sont loin d'être les plus affreuses qu'il m'ait été donné d'emprunter. La position de passager est de surcroît propice à l'observation rêveuse, du moins lorsque l'on n'y joue pas de la guitare mais c'est un détail que j'aborderai un peu plus loin dans ce récit. Pour le moment se présentait à nous la route pour Tintagel qui fut avalée en 1h30 grosso modo et sans emprunter trop de détours inopinés si l'on s'en fie à mon échelle. Moins d'une douzaine d'erreur de guidage, on frise l'exploit - était-ce la magie arthurienne qui m'envahit pour l'occasion ?

Saurais-je raconter convenablement l'histoire, ou du moins les histoires, de Tintagel ? Non, sans doute pas. D'abord parce que je ne vois pas très bien pourquoi, bande de feignasses, vous n'iriez pas voir vous-même ce qu'il en est. Non pas que la bonne santé du tourisme britannique soit un objectif pour moi, mais on ne voit bien qu'avec les yeux - contrairement à ce qu'un aviateur à tenté de faire croire, sa vision par le cœur l'ayant tout de même mené au crash, je le dis en passant. Surtout, la raison pour laquelle tout récit détaillé de l'histoire de Tintagel serait illusoire tient à ma grande incapacité à en retenir présentement les points clés. Tout juste saurais-je narrer que les ruines de Tintagel sont probablement le fruit de l'une des légendes arthuriennes selon laquelle Arthur aurait été conçu par là-bas. S'appuyant sur cette légende, un certain Richard Earl de Cornouailles décida en 1233 de bâtir un château pour retrouver les racines et l'esprit d'Arthur et les perpétuer. Perpétuité loupée, certes, vu que seules les ruines subsistent mais le geste était beau.

Attention cependant, s'il est vrai que Tintagel est en ruines, il ne faut pas en conclure que nous eûmes à traverser un paysage dévasté, un simple tas d cailloux posé sur l'herbe, une version ancestrale d'usine désaffectée. Non Richard Earl de Cornouailles avait du goût, et il a bâti son château sur la côte surplombant la mer qui s'abîme en ce lieu sur et sous de belles falaises. Tintagel est en fait un gros rocher de terre, et pour ceux qui considéreraient que cette description sommaire casse la légende dans l'os, admettons que c'est un joyau aux éclats herbeux et rocheux ce qui signifie exactement la même chose.

Mais avant même la découverte du lieu, la découverte du parking se révéla une aventure à part entière. Bien entendu payant - autant boire le touriste jusqu'à la lie -, le parking ne pouvait se régler qu'en pièces ... pièces que nous ne possédions pas encore. Cela nous valut le passage par un distributeur pour passer de la carte aux billets, puis un achat quelconque pour du billet tirer monnaie sonnante et trébuchante - non pas que le Guardian acheté à l'occasion fut quelconque, attention ! Cette manœuvre monétaire d'une grande complexité faite, il ne nous restait plus qu'à marcher vers le site de Tintagel, entre deux familles de touristes nous offrant le miroir de ce que devaient être nos mines. Il faut préciser en passant que nous croisâmes au fil des jours une flopée de Français, ou de francophones, et c'est là bien entendu la seule raison expliquant que nous soyons pas revenus bilingues. Raison à laquelle il faut pour Ulysse ajouter son origine italienne (un italien qui parle bien anglais, c'est aussi rare qu'un jospiniste aujourd'hui).

Nous arrivâmes à l'entrée - payante aussi - du site, et il faut ici prendre quelques secondes pour imaginer le visage du neptunien à qui je n'avais pas précisé assez clairement dans ma présentation du lieu qu'il s'agissait d'un château, certes...mais en ruines ! L'intérêt résidant moins, en conséquence, dans l'observation des infrastructures que dans la contemplation rêveuse de lieux dont on ne peut parfois que supputer la fonction au temps où la bâtisse tenait fièrement debout. Ici un jardin, là un grand hall ; qui étaient-ils, que faisaient-ils à Tintagel, combien d'elles y avait-il dans ces ils? Le Moyen-Âge étant peu propice aux photographies, nul ne peut affirmer connaître toutes les réponses à ces questionnements. Cette liberté de l'imagination, ainsi que la balade qu'offrait la visite dans de beaux paysages, tels furent les bons points à retenir de la visite. Ruine ne signifiant pas décrépitude morbide, Tintagel n'est pas un lieu pesant et déprimant où il n'y a plus d'étoiles de mer et sa visite en fut agréable. Elle est d'ailleurs sous le contrôle d'un organisme, "English Heritage" qui rassemble nombres de lieux historiques du pays. Nous prîmes la carte de l'organisme, qui en échange d'une modique somme permet l'entrée gratuite dans tous les monuments qu'il parraine. Membre d'English Heritage ça vous pose un homme, même quand ils sont deux et que la carte n'est valable que quinze jours.

Pour reprendre le fil horaire - anglais - de la journée, il était près de 13 heures quand nous empruntâmes les mètres de sentier de Tintagel sous un soleil et un ciel, et presque sur une mer, n'ayant pas grand chose à envier à la Côte d'Azur. Il est même probable qu'il y ait plus d'Anglais sur la Côte d'Azur un 16 juillet que dans toute la région autour de Tintagel, les Cornouailles étant terres de lutins ou de sangliers et moins de métropoles bétonnées. Un béton que l'on trouve plus à l'est dès lors que le balnéaire pointe son nez dans l'air. Tintagel ne rime pas avec tintamarre, de quoi réjouir les adeptes de la tranquillité.

Un autre intérêt dans la visite à Tintagel renforcé par la chaleur ambiante fut l'aspect hautement sportif de la journée. Comme évoqué précédemment le lieu ne manque pas de relief, et d'un point à l'autre de la visite nous fûmes amenés à emprunter de secs raidillons, d'étroits et d'interminables escaliers, de trop audacieux chemins de traverse menant à des impasses...ou du moins au bord d'une falaise ce qui pour un esprit non-suicidaire est l'équivalent d'une impasse. Le passage entre guillemets qui va suivre n'est que pure extrapolation et ne mérite pas sa place parmi les faits à retenir d ce récit.

"Nous marchions courageusement, pas après pas, suées après suées. Ma démarche svelte me donnait l'air d'un majestueux albatros volant au ras des roches, effleurant l'herbe s'abaissant soumise à ma grâce. L’œil admiratif des touristes alentours suivait fasciné ma course vers les hauts plateaux de Tintagel et il me semble bien qu'un "Holy shit" croisa aux grands vents la route d'un "What the fuck !" et la mienne. Je souris, repu comme le fauve affamé ayant enfin dévoré sa proie, et me retournai. Le_neptunien se trainait là en contrebas, tel la carcasse de la proie, l'oeil plus vide qu'avide fixé vers mon ombre tronant au sommet, le pas lourd et la lunette de soleil de travers (ceci expliquant que je fus en mesure de voir son œil vide). Soufflant comme un baleineau en rodage, il parvient avec grande témérité à ma hauteur et un râle sorti de sa gorge habitué à d'autres volubilités. Tintagel nous acclama, et apparut Merlin ..."

Oui, je me rends bien compte que l'apparition de Merlin est la goutte d'eau qui fait déborder le vase du fantasmagorique. En l'occurrence je faisais moins le malin, et si baleineau il y avait il était au large, peut-être dans les filets d'un grand voilier noir aux pratiques scandaleuses mais ce sera le seul message écologique de ce carnet. La bouffée d'air, quand bien même il ne fut pas frais, fut salutaire mais c'est justement bouffer qui nous préoccupa par la suite. Il était plus de 15h en effet quand nous eûmes bouclé le petit tour de Tintagel, et seul le petit-déjeuner pouvait faire office de carburant. C'est écolo, me direz-vous, mais ce serait oublier un peu vite que j'ai quelques lignes plus haut annoncé mon refus de toute propagande écologiste. Après quelques photos estampillées "photos débiles" (allongé entre des rochers, par exemple) à l'image de la photo prise la veille sur le "H" de l'hélicoptère du ferry juste avant que j'en fasse l'imitation, l'heure était à trouver de quoi se sustenter - ou du moins, de tenter.

Encore une fois, difficile de dire que le menu fut typiquement de la région ou du pays : pain, jambon, fromage industriel en petites portions en guise de beurre, le tout acheté sans une supérette du village de Tintagel, et nous pûmes partir en quête d’un emplacement adapté à ce repas gastronomique communément appelé pique-nique. Désormais rodé aux plus petites routes anglaises, Le_neptunien suivit son instinct et son GPS et en conjuguant tous leurs efforts ils parvinrent à dénicher le coin le plus paumé de tous les coins paumés de l'île, au bout d'une route étroite et bordée de hautes haies. Tel fut d'ailleurs le paysage le plus fréquent pendant notre route : des voies calibrées pour laisser passer 3/4 de véhicule, et sur leurs côtés des arbres aux feuillages très denses ou bien des haies taillées pour que rien de dépasse. Une ambiance qui me plongea dans "Le chien des Baskerville", mais aucun chien géant ne vint contrarier notre route vers le déjeuner.

En notre désert herbeux nous dégustâmes - tout est relatif - nos sandwichs de fortune et devisâmes sur l'humanité. Face à nous la mer ancestrale, la Tintagel médiévale  des champs et fermes post révolution industrielle et des éoliennes de l'ère incertaine du renouvelable, tout cela formant une fresque historique à l'étendue millénaire. Toute cette réflexion se déroula dans une quiétude seulement troublée par le découpage du pain et par une machine non-identifiée qui opérait non loin de là. L'agriculteur anglais n'a pas le moindre respect pour le touriste français qui déjeune à l'heure espagnole, c'est à ne rien y comprendre !

Le repas achevé, la voiture nous attendait de pneu ferme ou du moins pas crevé, car le trajet était assez long jusqu'à l'étape du soir : la petite île de Portland. Trois heures pour Ulysse à rouler, pour Le_neptunien à faire rouler, et pour moi à ... rien. Rien faire est une des choses que je sais très bien faire, et je le prouve à chaque voyage en voiture avec une aptitude assez remarquable à étouffer toute conversation ; à égarer en tout recoin inaccessible de mon esprit la moindre parole donnée ; à ne prêter oreille qu'à des bribes en y acquiesçant mollement ; et à ne prendre la balle au rebond que lorsque le rebond n'est pas trop haut ce qui demanderait un effort incommensurable. Que le silence ait accompagné bon nombre de nos minutes sur les voies automobiles anglaises n’étonnera donc pas grand monde parmi les lecteurs qui n'auraient pas encore jeté ce carnet à bonne distance d'eux, fatigués d'absurdités chroniques non justifiées.

Silence ou pas, Weymouth puis l'île de Portland lui faisant face furent atteintes en début de soirée. L'auberge YHA nous attendait. Dépose des bagages dans notre dortoir, où nous rejoint peu après un autre voyageur, et balade sur l'une des plages de l'île furent ensuite au programme. Le_neptunien, allongé sur les galets dans la position la plus confortable possible, se retrouva surpris après quelques minutes par la marée montante et ses pieds goûtèrent à la mer et à ce qui en fait le sel : le sel.

Forts de cette aventure supplémentaire, nous tentâmes un restaurant qui ne servait plus à cette heure tardive - 22h approchaient - et nous finîmes sur les bons conseils de la charmante demoiselle à l'accueil de l'auberge de jeunesse par mettre le cap vers la supérette encore ouverte dans la ville, à une dizaine de minutes de là. Bons conseils qu'elle dut ressasser ("once again ?", implorait Le_neptunien) en raison de son articulation à la machette formant pour nos oreilles accoutumées à la fréquence française un angloubi-boulga tout à fait intéressant à condition de ne pas vouloir le comprendre! A notre plus grande joie, la supérette était bel et bien là et ouverte.  Nous pûmes ainsi continuer notre journée "Alimentation locale" en achetant ... une pizza. Nous la chauffâmes puis la gobâmes, sans âme et à son grand dam, à l'auberge de jeunesse. Et, avant d'aller me coucher, j'oubliai honteusement de composer une ode à cette pizza salvatrice, ce que je rectifie immédiatement : 

"Madame la pizza ;

Madame, je t'aime ; et au nom de l'amour que je te porte laisse-moi t'offrir ces quelques rîmes tournant moins rond, je le crains  que ta pâte dorée et croustillante.

Ô, pizza emplie de tomate et d’œuf
Que je suis épris quand tu mates la meuf
Prête à la tâcher de ton rouge sang
La laissant hurler, crier les jours sans

Non, ne criez pas, femmes trop coquettes,
La tâche partira, la bêtise reste
Quand ça devient trop, aux heures épuisées
Mangez une pizza, et enfin soufflez

Même en Angleterre face à une reine
Tout le charme opère, Dieu protège la reine
Aussi la calzone, la margarita
C'est jamais la zone quand vit la pizza."

Non, non, rien n'a changé, mes vers sont toujours plus bas que terre. En revanche à Portland le jour changea et voici déjà le mercredi 17/07 qui frappe à la porte ...


Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
Présentation et informations : Présentation
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dimanche 14 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 2 - 15/07/2013

Chapitre 2 - 15/07/2013

"Angleterre, nous voici, nous voilà ! Patrie de l'Amiral Nelson, du roi Georges V et de Margaret Thatcher (que des grands hommes, non ?), berceau des révolutions industrielles et de David Beckham, lit douillet de l'euroscepticisme latent et anciennement de l'hooliganisme, à la fois roche et bernique accrochée au rocher américain et "rosbeef-land" (1) pour les intimes, ce monceau de clichés forme ton île aux yeux des touristes pédants débarquant d'outre-Manche tout emplis de certitudes sur la culture locale."

Une telle introduction à l'arrivée en Angleterre aurait pu être adaptée. Aurait pu. Mais sa pique ironique à l'égard d'une personne décédée (Thatcher, pas Beckham qui est bien vivant bien que ses exploits moribonds au PSG aient pu laisser de mauvais esprits penser à un proche décès), cette pique gratuite ne mérite pas de figurer dans un tel récit de voyage censé mettre en exergue et exemple l'harmonie et le dialogue entre les peuples. Reprenons donc sur des bases un peu plus consensuelles le fil de ce périple qui en ce 15 juillet nous amena au plus près de ce sel humide appelé mer.

C'est de Roscoff, autre bourgade bretonne qui pourrait très bien faire office de nom d'oiseau dan la bouche du Capitaine Haddock ("Moule à gaufres ! Bachi-bouzouk ! Roscoff !"), que devait s'envoler notre ferry pour Plymouth. A notre grande déception cependant, le ferry se révéla incapable de voler; il vogua plutôt. Mais avant cela bien des péripéties s'offraient à nous, la première étant de trouver le port et par la suite le lieux exact d'embarquement. 
Nul ne sait si Dédale a posé les fondations de Roscoff ou si l'itinéraire est un rite initiatique destiné à décourager la portion la moins téméraire du tout-venant, toujours est-il qu'il nous fallut tourner quelques temps dans cette pittoresque commune, peu aidés par les panneaux indicateurs qui avaient certainement un coup de cidre dans le nez (un coup de trop, s'entend ... ou cent ans, ce qui devait être l'âge des panneaux).

Le rite achevé avec brio, nous étions vers 13h dans cette zone bien particulière appelée zone d'embarquement. Il existe certainement bien d'autres lieux dans le monde de cet acabit, tous ces lieux de non vie, de passage. Terminaux d'aéroports, frontières, voire même laveries automatiques, autant de membres de cette grande famille du non-lieu, de l'entre-deux (et encore, de ces mots les zones en question ne sont que les tirets). La zone d'embarquement d'un ferry y appartient sans le moindre doute. Au premier contrôle, des identités et des tickets, les voitures défilent. Derrière la vitre, un curieux personnage fait face à un dilemme linguistique : faut-il s'adresser en anglais ou en français à tous ceux qui passent ? En ce qui nous concernait, le jeune homme qui officiait choisit le medley : un coup en anglais pour nous demander nos papiers et tickets ; un coup en français, pour nous intimer d’aller à la ligne 23 (le lecteur m’excusera ici si je fais erreur, le numéro exact m’a échappé; en même temps le lecteur ne sachant probablement pas plus que moi le numéro exact de la ligne n’aura sans doute rien à faire de cette parenthèse que je referme fissa).

C’est à l’arrivée sur la ligne 23 que commença vraiment l’immersion en lieu de quasi non-vie. Devant ? Une voiture. Derrière ? Une voiture. Toutes deux britanniques, volant à droite (même si, comme le ferry, les deux voitures ne volaient pas et, pas comme le ferry, elles roulaient … enfin sauf à ce moment précis où elles étaient bien sagement arrêtées). A gauche, d’autres voies avec des voitures, à droite, un splendide grillage longeant un bras de mer au bout duquel attendait majestueusement et royalement (Brittany Ferries oblige) notre embarcation. Quelques bribes de lien social s’immiscèrent néanmoins par un contact avec deux douaniers, dont un bedonnant moustachu scrutant suspicieux Ulysse qui se laissa reluquer, avant de nous demander (le moustachu, pas Ulysse) quelques infos :
« Lui – Bonjour.
Nous – Bonjour.
Lui – Vous voyagez pour quel motif ?
Nous – Tourisme.
Lui – Etudiants ?
Moi – Oui.
L_N – Non.
Lui – Rien de spécial dans la voiture, alcool, cigarettes ?
Nous – Non » (et idiots nous étions de ne point en avoir, car il ne vérifia absolument pas la véracité de notre réponse).

Cette conversation, déjà bouleversante en elle-même, l’est d’autant plus à sa relecture qu’elle constitua à peu près notre seule attache à l’humanité et ses codes sociaux dans un paysage proche de la nature morte. J’en ai cependant oublié une des interventions clés :
« Ulysse - … » (intervention à placer où bon vous semble)
Voilà, erreur rectifiée.

Notre ferry répondant au doux nom d'Armorique mit les voiles à 15h, et c'est encore une expression mal placée car bien que nous avions (les avions, eux, volent) pris garde à emprunter une ligne pas trop onéreuse, notre bateau ne fonctionnait tout de même pas à la seule force du vent sur les voiles. Oui: il fallait y ajouter la force des poumons des passagers contraints de souffler sur les voiles, et celle des passagers poussant le bateau tels Obelix sans force. Pour ces tâches gratifiantes, ce fut bien évidemment les femmes et les enfants (et les noirs) d'abord.

Le ferry partit donc à 14h. Oui, 14h et non plus 15h comme 11 lignes au-dessus car arrive dans ce récit le moment périlleux du passage de l'heure française à l'heure anglaise. Une heure à retirer, dangereux calcul non pas par sa complexité mais en raison du nombre exponentiel d'appareils donnant l'heure en ces temps : montres, téléphones, ordinateurs, tableaux de bord de voitures, ... Toute personne attentive et à l'esprit bien éclairé m'objectera que certains de ces appareils, dans leur formidable modernité, sont aptes à repérer qu'ils posent le pied en Angleterre et à changer seuls leur heure. Ce à quoi je réponds que ces nano-machines n'ont pas de pieds ... sauf les appareils photos, à la limite, mais pas les montres (et quand bien même ils en auraient eu, je n'ai pas cité les appareils photos dans la liste susmentionnée ce qui annihilera j'en suis certain les dernières réserves du lecteur attentif qui commence à devenir un peu chiant, tout de même, enfin, quoi !). Ces précisions effectuées je peux revenir à la complexité du changement d'heure, la multitude d'appareils entraînant nombre de manipulations sachant que tout oubli nous aurait plongé dans un grand désarroi spatio-temporel.

C'est donc à 14h que notre embarcation quitta son ancrage, et si ça fait trois fois que je donne cette information ce n'est pas du tout que je me perds dans des détails digressifs et sans intérêts. Non, si je martèle ainsi l'horaire de départ c'est bien pour me convaincre que c'était le bon puisque nous sommes bien évidemment partis en retard. Le compte-rendu scriptural présentant le grand avantage de prendre sans mal ses distances avec la réalité, je répète néanmoins sans sourciller que c'était à 14h que nous fûmes lancés en mer et, surtout, en ce qui nous concernait, lancés dans le ferry.

Car, à l'image de l'itinéraire vers le port de Roscoff, c'est une bien grande aventure qu'un voyage en ferry et ce qu'il parte à 14h ou pas. Un ferry est un village sur eau, une petite communauté éphémère de centaines de personnes destinées ensuite à ne plus de croiser. Toute une diversité de chemins qui se croisent, à l'image d'autres moyens de transport mais avec un espace nettement plus imposant dans lequel on trouve des commerces, bar, cinémas ou encore salles de jeux. L'arrivée étant programmée à 20h, les plus matheux des lecteurs attentifs et chiants déjà pointés de mon doigt rageur noteront que cela fait 6h de voyage, remarque qui n'a vraiment mais alors vraiment aucun intérêt. Ce qui est tout à fait passionnant en revanche, c'est de préciser que le tour des différents point-clés du ferry ne prit qu'une petite demi-heure, ce qui laissait devant nous bien du temps à tuer.

Il y a bien des manières de tuer le temps. Et puis, il y eut la notre, inclassable. Outre la propension de chaque être pensant  - souvent dépensant - à se sentir unique, cette affirmation se fonde sur des faits précis et tout à fait irréfutables  Des façons de s'occuper, il y en a vingt et cent, il y en a des milliers. Certains crament du juif, nous nous fîmes l'hélicoptère. Ou plutôt je fis l'hélicoptère, Le_neptunien me filmant. Expliquer ce que signifie "faire l'hélicoptère" est relativement simple : prenez un corps difforme et anarchiste capillaire et imaginez-le tournant sur lui-même, les pieds tourbillonnant sans grâce autour du "H" signifiant "hélicoptère" (ou "hurluberlu", pour ce qui me concernait et même si cette expression est démodée depuis 1961), le tout agrémenté d'une expression béate. Le pont étant vide à ce moment précis, le sentiment de gêne fut, malgré cette description peu valorisante , tout relatif. La vidéo de cette prestation sera bien entendu en téléchargement sur i-Tunes prochainement, contre la modique somme de 4.99 € (soit environs 7 pounds).

Bien entendu, enchaîner convenablement avec une occupation d'un tel niveau était chose impossible, et tout tentative de surenchérissement aurait sans le moindre doute tourné à l'abolition immédiate de toute dignité d'homme. Après ce triomphe de la futilité, nous passâmes ainsi la suite du voyage à des activités plus conventionnelles que l'imitation d'hélicoptère. Le_neptunien se reposant du sommeil du juste entre deux inspections dans les recoins les plus secrets du navire, j'en profitai pour rédiger le compte-rendu du concert de la veille - avec une dose de digression plus poussée encore que dans le présent écrit - puis un petit texte ayant pour thème "Guet" qui m'amena à parler de rêves et de Victor Hugo, c'est dire les digressions !

Un peu avant 20h les côtes anglaises étaient en point de mire sans qu'aucune embûche ne nous ait trouvé sur son chemin et sans que notre chemin ne soit embarrassé d’embûche (ce sont deux choses différentes : lorsque l'embûche est sur notre chemin, c'est elle qui doit payer les dommages et intérêts ; lorsque l'on est sur le chemin de l'embûche, le tort nous appartient). Pas d'iceberg, pas de vigie hurlant "les gau-, les gau-gau-, les gaulois !", pas d'enfant tombé à l'eau à mon grand regret car l'effet anesthésiant de l'eau gelée sur les caprices sonores eut été douce euphorie à mes oreilles. Doucement nous approchâmes l'Angleterre et notre destination, Plymouth. Entre-temps nous avions (nous ferrys?) pris soin de dîner au sein du splendide restaurant à bord, avec ses plats aux effluves alléchantes et ses prix qui donnaient envie de profiter dix fois plus encore desdites effluves. Je profitais tant des effluves que je ne retins même pas ce qui se trouvait dans mon assiette alors admettons que la gastronomie n'est pas un thème très attendu dans le récit de voyage en Angleterre, et passons sur ce petit oubli.

Peu après 20h, Plymouth était à nos pieds et surtout sous les roues d'Ulysse qui dut s'accoutumer à cette particularité britannique : rouler à gauche. C'est surtout Le_neptunien qui dut mettre de côté (gauche) ses réflexes de conducteur continental pour se faire le plus rapidement possible aux ronds-points pris à gauche, aux miles et yards remplaçant les kilomètres et mètres, le tout sous les regards des autochtones traduisibles par : "Ça y est, encore des Français qui viennent nous les briser, qui est le con qui a inventé le ferry ?". Plymouth, sa grande roue, son port et sa petite île, son parc avec vue sur la mer et bouteilles d'alcools divers traînant sur l'herbe; tel fut mon premier contact avec la terre anglaise (mais pas en glaise). Le_neptunien, lui, avait déjà goûté (à) cette joie et son regard acéré s'arrêta sur bien des détails échappant à mon regard par trop volatile ne s’accrochant qu'aux limites des fantaisies me traversant l'esprit. Le_neptunien et moi, il est peut-être utile de le préciser pour mieux comprendre ensuite nos comportements respectifs  deux prototypes d'individu humains bien particuliers. Un être humain n'est jamais qu'un prototype et c'est heureux, car c'est le défaut qui fait l'Homme - ce pourquoi la reproduction n'est qu'un moyen de transmettre parmi d'autres certes nécessaire mais loin d'être suffisant, n'en déplaise aux ayatollahs de la fécondité comme but ultime. Le prototype "Le_neptunien", donc, est caractérisé par un esprit curieux, une observation et une connaissance étroites des règles du jeu social ainsi qu'un intérêt forcené pour les créations culturelles ou sociétales de l'être humain. Un regard accroché à la Terre, de ses anecdotes à ses grandes structures, de ses êtres jusqu'au moindre de leur désordre. Ce prototype peut converser de tout sans pour autant s'aveugler de ses propres expériences et idées, son inconvénient principal étant la recherche absolue d'un ordre qui du point de vue du prototype irtimidien est illusoire.

Le prototype irtimidien est en bien des points le Hyde du Jekyll neptunien. Son regard ne s'accroche pas mais dérive, son seul ordre est un désordre organisé selon sa convenance, et sa curiosité pour l'être humain ne s'arrête pas sur ce qu'il produit de concret mais sur les structures qui lui échappent, sur les routines et idées qui s'imposent comme évidences. Surtout l'irtimidien tend à préférer raconter des histoires farfelues que vivre - ou pire, commenter - des histoires vraies. Cette tendance à vivre dans son cerveau peut faciliter des tendances égocentriques et compliquer la tenue de toute conversation, la mise à distance de certaines réalités évitant en revanche de s'en irriter trop facilement. On s'agace peu de ce qui est loin et l'émotion se mesure au kilomètre, en témoignent les réactions variables aux conflits de par le monde.

Cette introspection tout à fait subjective de chacun donnera au lecteur une idée des raisons des réactions de l'un et l'autre aux diverses péripéties qui se présentèrent par la suite. Pour l'heure, la nuit tombant sur l'Ibis de Plymouth, le quinzième jour de juillet s'acheva. Et si la nuit tombait, c'est bien que le guidage du copilote - moi - avait été suffisamment mauvais pour explorer toute la banlieue de Plymouth avant d'arriver à destination. Guidage catastrophique qui constitua l'un des running gags du séjour, sans le moindre progrès au fil des jours, j'en avertis déjà le lecteur trop optimiste. Quant au séjour, il est temps d'en tourner une autre page.


(1)Expression empruntée à Tezorc Y., frère de.

Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
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