jeudi 18 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 6 - 19/07/2013

Chapitre 6 - 19/07/2013

Jusqu'ici nous avions été plutôt gâtés concernant les lieux que nous traversions: ruines de Tintagel dominant la mer, routes de Cornouailles joliment entourées de haies et forêts (je ne vous dirais pas que ça rime, vous rétorqueriez que je radote, roches et phare de Portland, hauts lieux de l'histoire londonienne...non, indéniablement nous vîmes de très belles choses. Puis arriva Brighton. L'un de nos derniers lieux de passage et celui qui ne restera pas dans ma mémoire pour les plus glorieuses raisons qui soient.

Nous nous étions levés tranquillement et Ulysse nous amena avec son habituel sérieux consciencieux vers le sud, retrouver la côte et la mer qui nous avait cruellement manqué la veille lors de notre escapade en capitale. Brighton fut atteinte en début de matinée. Moi, je l'étais depuis longtemps (atteint). 

Fut-ce le soleil, au tapage diurne ravageur sur nos crânes ? Fut-ce la malchance? Fut-ce la maladresse ? Toujours est-il que lorsque nous posâmes Ulysse sur les places de parking qui longent la côte et descendîmes vers la plage, nous en eûmes assez peu pour notre argent - heureusement nous avions encore une fois fraudé, atteints (encore !) d'un accès de cécité soudain en passant devant le parcmètre. La plage était non seulement parfaitement quelconque dans sa forme - les plages bretonnes ou même de Portsmouth présentant l'intérêt d'un paysage joliment varié - mais c'était en plus une plage...naturiste ! Chose dont, dans la grande sagacité qui m'anime, je ne m'aperçus qu'après une bonne dizaine de culs nus. Comment convaincre Le_neptunien par la suite que la pratique naturiste était bien loin de mes hobbies, et plus encore de mes préoccupations ? Nous quittâmes les culs nus avec grande dignité- et avec des vêtements - mais j'exagérerais à peine si j'affirmais que ce spectacle eut au moins l'avantage de mettre du piment dans le pudding mou que me sembla être Brighton? Le piment dans le pudding étant vraiment un mélange infect rien qu'à l'imaginer, je pense avoir réussi par cette image à convaincre Le_neptunien que le naturisme et moi c'est à peu de choses près comme une brosse à cheveux et moi. Je salue cependant tous les naturistes qui ne me lisent pas, les félicitant de savoir s'abstraire et s'extraire des délires consuméristes vestimentaires qui ont cours jusqu'à la plage - jusque dans l'eau !

Reprenant Ulysse sur son parking et sans la moindre amende nous cherchâmes à trouver un lieu dans le centre-ville pour, une dernière fois sur le sol anglais, ravitailler nos panses. Et si les gens sont nus sur les plages à Brighton, les places de parking sont quant à elles bien habillées de voitures. Nous eûmes le grand malheur de nous engager dans une voie dans laquelle un véhicule de la fourrière était en plein opération en train de déposer une voiture récupérée Dieu sait où...à moins qu'il n'ait été à ce moment là en train  de mater les naturistes, Dieu fait ce qu'il veut. Après quelques minutes la voie se libéra et à la grande joie du Neptunien qui trépignait d'impatience contrite et de fatigue qu'on traite (en dormant) nous pûmes à nouveau installer confortablement Ulysse sur une place. Et, à nouveau, nous nous découvrîmes aveugles face à la machine indiquant P comme parcmètre, payer, parking et pasteurisation (ce récit ne parle pas du tout assez de lait).

Dans la rue longeant la mer, perpendiculaire à celle où reposait Ulysse en paix (bien vivante et bien en plein cagnard) se trouvaient deux ou trois restaurants aussi vides que la pizzeria londonienne de la veille. Nous en choisîmes un car si nous étions aveugles nous n'étions pas sourds aux protestations de nos ventres. La faim et le pifomètre entremêlés furent cette fois-ci plutôt de bons conseillers pour le restaurant où nous mangeâmes tout à fait convenablement. Qu'il y ait des frites et de la viande au menu n'étonnera personne parmi ceux ayant lu les 54 pages précédentes. Et que je ne me souvienne plus de ce qu'était la viande en question ne surprendra aucun cerveau attentif aux lacunes béantes de mes descriptions dans ce récit que j'ai fait le choix de rédiger sans notes ni recherches ce qui en limite certainement la portée factuelle.

Sans larmes, ni haine, ni violence nous sortîmes de notre ultime rendez-vous culinaire en territoire britannique et nous retrouvâmes Ulysse, toujours au soleil et toujours sans la moindre amende à déplorer. Ce qui prouve plus notre chance que d'éventuelles déficiences du système policier anglais. Partir de Brighton fut comme on peut le deviner à la lecture des paragraphes précédents un déchirement tout relatif pour nos petits cœurs pleins du seul marin que nous nous apprêtions aussi à quitter sous peu. Nous avions une marge assez grande jusqu'à l'heure d'embarquement (une heure qui ne ment pas) de notre ferry, à savoir 20h maximum pour un départ à 20h50... sur le papier. Nous passâmes devant une plage alors que je m'étais mis de nouveau à jouer de la guitare côté passager...

J'ouvre ici une 284ème parenthèse pour souligner que jouer de la guitare sur route est un défi ardu - surtout pour un musicien si peu expérimenté que moi. Plaquer des accords avec un manche tremblotant, pour le maladroit que je suis de surcroît, est un exercice de style périlleux. Ajoutez aux soubresauts occasionnés par le goudron le bruit du moteur, les virages et ronds-points transformant le Fa en Fa# (donc en fadaises) et autres péripéties occasionnelles et vous comprendrez...que ce fut un vrai plaisir !

Nous passâmes devant une plage, narrais-je, quand Le_neptunien eut la bonne idée de proposer une baignade. Quoi qu'un peu paumée et en quasi bord de route la plage en question n'en était pas moins plus agréable qu'à Brighton. Plus vide, aussi, mais moins nue. Le paisible plutôt que le bétonné. Et le silence plutôt que l'effervescence des citadins en attirails de vacanciers côtiers, bariolés de couleurs et variolés de réflexes d'urbains par sortis ni du sable, ni de leur bain quotidien de stress. Dans leur majorité les plages anglaises me laisseront un souvenir plutôt bon - beaucoup plus que les serveurs et je ne parle même pas des serveuses. Et puis la Manche fut moins irritante pour ma peau de bébé brûlé au deuxième degré que d'autres eaux. S'il fallait trouver les arguments les plus futiles pour conseiller un voyage sur la côté sud anglaise je crois bien que j'ai déniché là des pépites d'argumentation vaseuse !

Le bain effectué nous remontâmes à bord d'Ulysse désormais rodées aux marche-arrêt que nous lui imposions sans cesse ni vergogne. Douvres était notre ultime point de chute (mais pendant le séjour point de chute à déplorer) en ce cinquième jour du voyage mais avant de prendre le ferry Le_neptunien fut traversé d'une illumination, d'une idée fulgurante, d'un éclair de lucidité post-prandial dont il a seul le secret: "Tiens, si on lavait le pare-brise de la voiture ?". Le pare-brise était crado, il faut bien l'admettre. Je ne commenterai pas en revanche parce que j'ai bon fond l'opportunité pressante de laver les vitres en Angleterre plutôt qu'en France et ce alors que nous n'avions plus un sou sur nous en liquide local (la livre, pas le whisky). De surcroît nous étions déjà arrivés dans la voie du port menant à notre ferry lorsque Le_neptunien s'agita de ce besoin urgent. Ce qui occasionna un magnifique demi-tour pour sortir du port en suivant une chouette. Car, oui, dans le port de Douvres le panneau indiquant la sortie est surplombé d'une chouette (un dessin de chouette, hein, pas une chouette empaillée...quoique je n'ai pas vérifié).

Chouette ! Nous trouvâmes non loin de là une première station de lavage...mais on ne pouvait y payer qu'en liquide. Puis une deuxième station, de lavage à la main cette fois. L'employé qui nous vit arriver eut sans doute pitié d'Ulysse, son pare-brise tâché de toutes parts et son immatriculation française. Cela lui rappela peut-être ses aventures, ou celles de sa famille, pour immigrer en Grande-Bretagne car il n'avait pas le physique de l'anglais pur souche (Un "Nan mais t'as vu ta tronche, à toi ?", me paraît ici approprié mais je ne veux pas influencer les réactions du lecteur). Toujours est-il que ce fut gratuitement, mais cette fois sans frauder, que deux des employés de la station astiquèrent le pare-brise d'Ulysse qui se sentit certainement soulagée de quelques grammes. Quant à nous autres passagers nous n'avions plus l'impression de rouler dans le brouillard. L'employé qui nous avait accueilli nous salua en français d'un "Au revoir !". J'en tire la conclusion suivante: pour avoir des serveurs corrects au Royaume-Uni il faut manger dans une station de lavage. Bien sûr c'est risqué d'un point de vue alimentaire... à la limite, emmener son propre repas et le manger avec les "boys" de la station pourrait fonctionner. C'est une idée à creuser.

Nous pouvions désormais retourner à l'embarquement du ferry. Nous aurions pu y aller les yeux fermés, connaissant désormais le chemi, mais se priver d'un pare-brise presque immaculé eut été criminel. Pour la deuxième fois nous passâmes devant le guichet d'accueil. Clin d'oeil appréciable, le guichet en question ouvrait de nouveau alors même que nous arrivions ce qui nous permit de gruger royalement tous les véhicules alignés dans la seule file d'attente encore ouverte jusqu'alors. La joie teintée de mesquinerie fut donc l'un de nos derniers sentiments sur le sol anglais et je n'en suis pas fier. Mais c'était tout de même assez jouissif d'imaginer les mines dépitées des conducteurs, volant à droite ou à gauche, que nous doublâmes tranquillement. Après tout j'ai donné au fil de ce récit suffisamment d'éléments pour que nous soyons tous deux - ou trois - moqués. Quelques coups de griffe pour les autres ne sauraient être de trop.

Le ferry qui nous accueillait, nommé Berlioz, était le symbole de toute une histoire. Histoire sociale d'abord parce que la compagnie Myferrylink qui l'exploite n'est autre que la proche descendante de Sea France dont les difficultés firent les gros titres il y a quelques années. Histoire économique ensuite car la même compagnie est au cœur d'un litige. La commission britannique de la concurrence a demandé l'arrêt des activités de la compagnie au motif que les prix pratiqués nuisent au marché de la traversée de la Manche. Hasard du calendrier cette décision de la commission tomba le lendemain du jour où nous réservâmes. Preuve supplémentaire de mon flair infaillible puisque c'est moi qui avait choisi la compagnie.

Qu'on se rassure, le ferry nous ramenant à bon port français était bien là en ce 19 juillet. Entre une décision de commission et son application bien des mois peuvent s'écouler* d'autant plus que compagnie et gouvernement français ne l'entendent pas de cette oreille - ni de l'autre ... est-ce encore la faute de ce satané accent anglais ? 

Bien sûr, le ferry ne partit pas à l'heure. Cela permit au Neptunien de faire un comparatif poussé des clients de Britanny Ferries, compagnie empruntée à l'aller, et de Myferrylink, compagnie low-cost. Incapable de me doter d'un œil aussi acéré que le sien sur ces choses là je ne tenterai pas une synthèse de ses pertinentes conclusions mais je puis résumer la chose ainsi: il y avait plus de pauvres au retour. Entendez par là, à ses yeux, (Oui, entendre à ses yeux !) des gens moins bien éduqués donc plus bruyants, des enfants chamailleurs et peu respectueux du touriste habitué à d'autres standings. Le voyage ne durant qu'une heure et demi à peine et avec un passage dans la splendide cafétaria proposée à bord - le prix des plats avoisinait le prix des billets - Le_neptunien et moi supportâmes fort bien les désagréments.

Pour tuer le temps au lieu de tuer des enfants et des pauvres bougres nous nous mîmes à l'un de ces jeux typiques de files d'attente de parcs d'attraction. L'un donne un mot, le suivant donne un mot commençant par la dernière syllable du premier mot, et ainsi de suite. Exemple: cétacé - céphalée - lépidoptère - termite - mythologie - gisement - menteur - heure d'été (oui, expressions, noms propres et onomatopées sont tolérés). Les 90 minutes filèrent ainsi sans accrocs.

Et Calais, qu'allait bien, fut là (comme Pierre). Cela marquait la fin de notre séjour anglais, de ce petit road-trip où nos tripes ne furent pas trop mises à contribution. Tintagel, Portland, Portsmouth, Londres et Brighton, autant de lieux croisés fugacement laissant belles images et pour ma part moches photos, mais de beaux souvenirs.

Rejoignant Lille à droite et sans encombres nous pouvions féliciter Ulysse de son abnégation et Le_neptunien de la sienne. Il me plairait ici de trouver des raisons de me féliciter moi-même car j'adore ça, mais elles ne pourraient qu'être capillotractées Et il faudrait un tractopelle pour tracter ce qui se trouve là-haut perché anarchiquement sur mon crâne. Me réjouir je puis (Yoda le retour !) en revanche d'avoir pu vivre ces quelques jours en terre inconnue et sans Frédéric Lopez. De l'île à Lille, la boucle fut bouclée.. 



* La compagnie a fait appel. Le jugement est prévu pour fin octobre 2013.

Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
Présentation et informations : Présentation
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