lundi 15 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 3 - 16/07/2013

Chapitre 3 - 16/07/2013

Le mardi, le soleil se leva sur Plymouth et nous avec. Ou plutôt, nous un peu plus tard. L'astre lumineux ne nous quittait plus, et nous quittera plus, mettant à terre tout préjugé sur le fog anglais soi-disant omniprésent. Le seul programme de la journée était d'arriver bon port à l'île de Portland, en face de Weymouth, le soir. Ce fut de mon esprit torsadé par les multiples visionnages de Kaamelott que vint l'idée - l'une de mes seules de tout le séjour - d'aller au Nord de la Cornouailles visiter les ruines de Tintagel. Je n'aurais pu, de tout évidence, passer en Angleterre sans visiter le moindre lieu rattaché à la légende arthurienne. Car, outre Kaamelott, mes caractéristiques mentales me poussent à aimer plus encore les légendes et leur lot fourni d'incertitudes que l'histoire pure pourtant elle aussi traversée de légendes devenues faits admis - sinon avérés. Une visite, c'était le mini-minimum.

Avant le départ, une épreuve s'offrit cependant à nous: notre premier petit-déjeuner façon anglaise. Du moins, sur le papier. En bon touriste continental timoré et engoncé dans ses réflexes alimentaires je me sentis tout à la fois lâche, chancelant et valétudinaire au moment où s'offrirent à mes yeux des tranches de bacon entassées et affriolantes - ou affolantes, à mon goût. "A mon goût" n'étant pas la bonne expression, puisque goûter à ces aliments je ne puis point (si j'utilise ici une tournure à la Yoda, c'est bien parce que toutes ces journées près de la mer, ça me ioda diablement !). Pour moi, ce fut "continental breakfast", comme ils disent là-bas avec parfois une petite moue méprisante ou peut-être bien dégoûtée : céréales, viennoiseries et café suffirent à mon bonheur. A mon ventre, du moins, mais admettons que je l'ai rebaptisé "Bonheur".

Sur ces entrefaites - et entremets - nous pûmes partir vers Tintagel accompagnés du chant de l'oiseau sur les arbres verdoyants. Les routes anglaises, les petites notamment, sont loin d'être les plus affreuses qu'il m'ait été donné d'emprunter. La position de passager est de surcroît propice à l'observation rêveuse, du moins lorsque l'on n'y joue pas de la guitare mais c'est un détail que j'aborderai un peu plus loin dans ce récit. Pour le moment se présentait à nous la route pour Tintagel qui fut avalée en 1h30 grosso modo et sans emprunter trop de détours inopinés si l'on s'en fie à mon échelle. Moins d'une douzaine d'erreur de guidage, on frise l'exploit - était-ce la magie arthurienne qui m'envahit pour l'occasion ?

Saurais-je raconter convenablement l'histoire, ou du moins les histoires, de Tintagel ? Non, sans doute pas. D'abord parce que je ne vois pas très bien pourquoi, bande de feignasses, vous n'iriez pas voir vous-même ce qu'il en est. Non pas que la bonne santé du tourisme britannique soit un objectif pour moi, mais on ne voit bien qu'avec les yeux - contrairement à ce qu'un aviateur à tenté de faire croire, sa vision par le cœur l'ayant tout de même mené au crash, je le dis en passant. Surtout, la raison pour laquelle tout récit détaillé de l'histoire de Tintagel serait illusoire tient à ma grande incapacité à en retenir présentement les points clés. Tout juste saurais-je narrer que les ruines de Tintagel sont probablement le fruit de l'une des légendes arthuriennes selon laquelle Arthur aurait été conçu par là-bas. S'appuyant sur cette légende, un certain Richard Earl de Cornouailles décida en 1233 de bâtir un château pour retrouver les racines et l'esprit d'Arthur et les perpétuer. Perpétuité loupée, certes, vu que seules les ruines subsistent mais le geste était beau.

Attention cependant, s'il est vrai que Tintagel est en ruines, il ne faut pas en conclure que nous eûmes à traverser un paysage dévasté, un simple tas d cailloux posé sur l'herbe, une version ancestrale d'usine désaffectée. Non Richard Earl de Cornouailles avait du goût, et il a bâti son château sur la côte surplombant la mer qui s'abîme en ce lieu sur et sous de belles falaises. Tintagel est en fait un gros rocher de terre, et pour ceux qui considéreraient que cette description sommaire casse la légende dans l'os, admettons que c'est un joyau aux éclats herbeux et rocheux ce qui signifie exactement la même chose.

Mais avant même la découverte du lieu, la découverte du parking se révéla une aventure à part entière. Bien entendu payant - autant boire le touriste jusqu'à la lie -, le parking ne pouvait se régler qu'en pièces ... pièces que nous ne possédions pas encore. Cela nous valut le passage par un distributeur pour passer de la carte aux billets, puis un achat quelconque pour du billet tirer monnaie sonnante et trébuchante - non pas que le Guardian acheté à l'occasion fut quelconque, attention ! Cette manœuvre monétaire d'une grande complexité faite, il ne nous restait plus qu'à marcher vers le site de Tintagel, entre deux familles de touristes nous offrant le miroir de ce que devaient être nos mines. Il faut préciser en passant que nous croisâmes au fil des jours une flopée de Français, ou de francophones, et c'est là bien entendu la seule raison expliquant que nous soyons pas revenus bilingues. Raison à laquelle il faut pour Ulysse ajouter son origine italienne (un italien qui parle bien anglais, c'est aussi rare qu'un jospiniste aujourd'hui).

Nous arrivâmes à l'entrée - payante aussi - du site, et il faut ici prendre quelques secondes pour imaginer le visage du neptunien à qui je n'avais pas précisé assez clairement dans ma présentation du lieu qu'il s'agissait d'un château, certes...mais en ruines ! L'intérêt résidant moins, en conséquence, dans l'observation des infrastructures que dans la contemplation rêveuse de lieux dont on ne peut parfois que supputer la fonction au temps où la bâtisse tenait fièrement debout. Ici un jardin, là un grand hall ; qui étaient-ils, que faisaient-ils à Tintagel, combien d'elles y avait-il dans ces ils? Le Moyen-Âge étant peu propice aux photographies, nul ne peut affirmer connaître toutes les réponses à ces questionnements. Cette liberté de l'imagination, ainsi que la balade qu'offrait la visite dans de beaux paysages, tels furent les bons points à retenir de la visite. Ruine ne signifiant pas décrépitude morbide, Tintagel n'est pas un lieu pesant et déprimant où il n'y a plus d'étoiles de mer et sa visite en fut agréable. Elle est d'ailleurs sous le contrôle d'un organisme, "English Heritage" qui rassemble nombres de lieux historiques du pays. Nous prîmes la carte de l'organisme, qui en échange d'une modique somme permet l'entrée gratuite dans tous les monuments qu'il parraine. Membre d'English Heritage ça vous pose un homme, même quand ils sont deux et que la carte n'est valable que quinze jours.

Pour reprendre le fil horaire - anglais - de la journée, il était près de 13 heures quand nous empruntâmes les mètres de sentier de Tintagel sous un soleil et un ciel, et presque sur une mer, n'ayant pas grand chose à envier à la Côte d'Azur. Il est même probable qu'il y ait plus d'Anglais sur la Côte d'Azur un 16 juillet que dans toute la région autour de Tintagel, les Cornouailles étant terres de lutins ou de sangliers et moins de métropoles bétonnées. Un béton que l'on trouve plus à l'est dès lors que le balnéaire pointe son nez dans l'air. Tintagel ne rime pas avec tintamarre, de quoi réjouir les adeptes de la tranquillité.

Un autre intérêt dans la visite à Tintagel renforcé par la chaleur ambiante fut l'aspect hautement sportif de la journée. Comme évoqué précédemment le lieu ne manque pas de relief, et d'un point à l'autre de la visite nous fûmes amenés à emprunter de secs raidillons, d'étroits et d'interminables escaliers, de trop audacieux chemins de traverse menant à des impasses...ou du moins au bord d'une falaise ce qui pour un esprit non-suicidaire est l'équivalent d'une impasse. Le passage entre guillemets qui va suivre n'est que pure extrapolation et ne mérite pas sa place parmi les faits à retenir d ce récit.

"Nous marchions courageusement, pas après pas, suées après suées. Ma démarche svelte me donnait l'air d'un majestueux albatros volant au ras des roches, effleurant l'herbe s'abaissant soumise à ma grâce. L’œil admiratif des touristes alentours suivait fasciné ma course vers les hauts plateaux de Tintagel et il me semble bien qu'un "Holy shit" croisa aux grands vents la route d'un "What the fuck !" et la mienne. Je souris, repu comme le fauve affamé ayant enfin dévoré sa proie, et me retournai. Le_neptunien se trainait là en contrebas, tel la carcasse de la proie, l'oeil plus vide qu'avide fixé vers mon ombre tronant au sommet, le pas lourd et la lunette de soleil de travers (ceci expliquant que je fus en mesure de voir son œil vide). Soufflant comme un baleineau en rodage, il parvient avec grande témérité à ma hauteur et un râle sorti de sa gorge habitué à d'autres volubilités. Tintagel nous acclama, et apparut Merlin ..."

Oui, je me rends bien compte que l'apparition de Merlin est la goutte d'eau qui fait déborder le vase du fantasmagorique. En l'occurrence je faisais moins le malin, et si baleineau il y avait il était au large, peut-être dans les filets d'un grand voilier noir aux pratiques scandaleuses mais ce sera le seul message écologique de ce carnet. La bouffée d'air, quand bien même il ne fut pas frais, fut salutaire mais c'est justement bouffer qui nous préoccupa par la suite. Il était plus de 15h en effet quand nous eûmes bouclé le petit tour de Tintagel, et seul le petit-déjeuner pouvait faire office de carburant. C'est écolo, me direz-vous, mais ce serait oublier un peu vite que j'ai quelques lignes plus haut annoncé mon refus de toute propagande écologiste. Après quelques photos estampillées "photos débiles" (allongé entre des rochers, par exemple) à l'image de la photo prise la veille sur le "H" de l'hélicoptère du ferry juste avant que j'en fasse l'imitation, l'heure était à trouver de quoi se sustenter - ou du moins, de tenter.

Encore une fois, difficile de dire que le menu fut typiquement de la région ou du pays : pain, jambon, fromage industriel en petites portions en guise de beurre, le tout acheté sans une supérette du village de Tintagel, et nous pûmes partir en quête d’un emplacement adapté à ce repas gastronomique communément appelé pique-nique. Désormais rodé aux plus petites routes anglaises, Le_neptunien suivit son instinct et son GPS et en conjuguant tous leurs efforts ils parvinrent à dénicher le coin le plus paumé de tous les coins paumés de l'île, au bout d'une route étroite et bordée de hautes haies. Tel fut d'ailleurs le paysage le plus fréquent pendant notre route : des voies calibrées pour laisser passer 3/4 de véhicule, et sur leurs côtés des arbres aux feuillages très denses ou bien des haies taillées pour que rien de dépasse. Une ambiance qui me plongea dans "Le chien des Baskerville", mais aucun chien géant ne vint contrarier notre route vers le déjeuner.

En notre désert herbeux nous dégustâmes - tout est relatif - nos sandwichs de fortune et devisâmes sur l'humanité. Face à nous la mer ancestrale, la Tintagel médiévale  des champs et fermes post révolution industrielle et des éoliennes de l'ère incertaine du renouvelable, tout cela formant une fresque historique à l'étendue millénaire. Toute cette réflexion se déroula dans une quiétude seulement troublée par le découpage du pain et par une machine non-identifiée qui opérait non loin de là. L'agriculteur anglais n'a pas le moindre respect pour le touriste français qui déjeune à l'heure espagnole, c'est à ne rien y comprendre !

Le repas achevé, la voiture nous attendait de pneu ferme ou du moins pas crevé, car le trajet était assez long jusqu'à l'étape du soir : la petite île de Portland. Trois heures pour Ulysse à rouler, pour Le_neptunien à faire rouler, et pour moi à ... rien. Rien faire est une des choses que je sais très bien faire, et je le prouve à chaque voyage en voiture avec une aptitude assez remarquable à étouffer toute conversation ; à égarer en tout recoin inaccessible de mon esprit la moindre parole donnée ; à ne prêter oreille qu'à des bribes en y acquiesçant mollement ; et à ne prendre la balle au rebond que lorsque le rebond n'est pas trop haut ce qui demanderait un effort incommensurable. Que le silence ait accompagné bon nombre de nos minutes sur les voies automobiles anglaises n’étonnera donc pas grand monde parmi les lecteurs qui n'auraient pas encore jeté ce carnet à bonne distance d'eux, fatigués d'absurdités chroniques non justifiées.

Silence ou pas, Weymouth puis l'île de Portland lui faisant face furent atteintes en début de soirée. L'auberge YHA nous attendait. Dépose des bagages dans notre dortoir, où nous rejoint peu après un autre voyageur, et balade sur l'une des plages de l'île furent ensuite au programme. Le_neptunien, allongé sur les galets dans la position la plus confortable possible, se retrouva surpris après quelques minutes par la marée montante et ses pieds goûtèrent à la mer et à ce qui en fait le sel : le sel.

Forts de cette aventure supplémentaire, nous tentâmes un restaurant qui ne servait plus à cette heure tardive - 22h approchaient - et nous finîmes sur les bons conseils de la charmante demoiselle à l'accueil de l'auberge de jeunesse par mettre le cap vers la supérette encore ouverte dans la ville, à une dizaine de minutes de là. Bons conseils qu'elle dut ressasser ("once again ?", implorait Le_neptunien) en raison de son articulation à la machette formant pour nos oreilles accoutumées à la fréquence française un angloubi-boulga tout à fait intéressant à condition de ne pas vouloir le comprendre! A notre plus grande joie, la supérette était bel et bien là et ouverte.  Nous pûmes ainsi continuer notre journée "Alimentation locale" en achetant ... une pizza. Nous la chauffâmes puis la gobâmes, sans âme et à son grand dam, à l'auberge de jeunesse. Et, avant d'aller me coucher, j'oubliai honteusement de composer une ode à cette pizza salvatrice, ce que je rectifie immédiatement : 

"Madame la pizza ;

Madame, je t'aime ; et au nom de l'amour que je te porte laisse-moi t'offrir ces quelques rîmes tournant moins rond, je le crains  que ta pâte dorée et croustillante.

Ô, pizza emplie de tomate et d’œuf
Que je suis épris quand tu mates la meuf
Prête à la tâcher de ton rouge sang
La laissant hurler, crier les jours sans

Non, ne criez pas, femmes trop coquettes,
La tâche partira, la bêtise reste
Quand ça devient trop, aux heures épuisées
Mangez une pizza, et enfin soufflez

Même en Angleterre face à une reine
Tout le charme opère, Dieu protège la reine
Aussi la calzone, la margarita
C'est jamais la zone quand vit la pizza."

Non, non, rien n'a changé, mes vers sont toujours plus bas que terre. En revanche à Portland le jour changea et voici déjà le mercredi 17/07 qui frappe à la porte ...


Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
Présentation et informations : Présentation
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