mardi 16 juillet 2013

De Bretagne et d'Angleterre, Chapitre 4 - 17/07/2013

Chapitre 4 - 17/07/2013

André Gide l'a écrit : "Il faut suivre sa pente, à condition de toujours la remonter." Fidèles à ce bon vieux Dédé, nous partîmes en ce 17 juillet de l'auberge de jeunesse de Portland vers les hauteurs de l'île. J'étais tout revigoré, pas tant par la nuit de sommeil que parce que j'avais réussi le matin à entretenir une conversation de plus de cinq minutes avec notre camarade de dortoir. L'homme, un anglais venant de Bristol, devait caresser la trentaine. Je parle ici de son âge et pas de ses pratiques nocturnes dans les dortoirs de 32 personnes, pratiques que j'ignore puisque notre dortoir avait une capacité limitée à 6 personnes.

Courageux, il avait entrepris un voyage à pied dans la région et crapahuté la veille sur plus de 30 kilomètres. Je ne demandai pas à cet homme aussi sympathique que chauve si c'est là qu'il avait perdu ses cheveux et ne lui proposai pas non plus de lui prêter les miens. C'est que je possède des cheveux uniques, que nul autre organisme ne saurait gérer. Le marcheur nourrissant quelque envie de visiter la France je me fis bien entendu un devoir de lui conseiller la Creuse dont les GRs sont probablement les endroits les plus excitants.

Si nous partîmes, cœur vaillant, vers les reliefs de l'île c'est aussi parce que nous avions eu droit à un "English breakfast" préparé spécialement par la demoiselle qui savait visiblement couper autre chose que son accent avec la machette. Nous mangeâmes dans une salle décorée de deux tableaux, l'un décrivant moult manières de faire un nœud ce qui eut été utile si je ne possédais pas deux pieds gauches en lieu et place des mains, et l'autre présentant les différents drapeaux qui peuvent être hissés par un navire. Un code extrêmement précis et fouillé, il me semble que le drapeau "Passe-moi le sel" était bleu à pois blancs.

Champignons, haricots, saucisse et bacon. Tel est le "English breakfast". A 8h30 du matin le défi est d'abord psychologique surtout lorsque comme moi on est assez peu friand de champignons, et à ce à toute heure. Mais en dépit des réserves initiales issues du conservatisme latent en mon esprit obtus il faut bien admettre que l'expérience matinale ne fut pas désagréable, loin s'en faut. Le café-haricots n'est certes pas un mélange évident à première vue et à premier goût, mais au moins nous finîmes notre assiette avec la satisfaction du devoir accompli...et du costaud dans l'estomac.

Ainsi nourri, Le_neptunien conduisit avec la dextérité d'un Sébastien Loeb mais sans sa vitesse, ce qui est heureux pour les sièges d'Ulysse qui auraient assez peu goûté à la fantaisie d'être repeints de champignons tous droits issus des profondeurs de moi. Notre but était le château de Portland, autre lieu étiqueté "English Heritage" mais il s'avéra que la saucisse matinale ne possédait aucune protéine renforçant le sens de l'orientation. Les détours sans désagréments ainsi occasionnés nous permirent de nous arrêter sur un point de vue de l'île sur lequel des anneaux, cinq de leur nombre et olympiques de leur nom, célébraient le passage des JO de Londres non loin de là un an auparavant pour des épreuves de voile - cela va sans dire, mais mieux en le disant. Ce fut l'occasion d'une "photo débile" de plus: ma tête au milieu de l'anneau central.

Repartant vers le château nous arrivâmes au phare. Chose logique après tout: nous n'avions fait que suivre le fameux slogan "Plus vite, plus haut, plus phare" - tout se tient. L'important étant de participer nous fîmes un petit tour du phare, de taille moyenne (pas un très grand ni un nano-phare... ni un nénuphar) et prîmes des photos en bons touristes que nous étions. Le tout en laissant la voiture sur un parking payant que jamais nous ne payâmes - en bons escrocs que nous étions, sommes, serons et toutes les conjugaisons qu'il vous plaira.

Je sens de mon siège, qui est une chaise en plastique, vos entrailles se nouer, votre cœur se serrer, votre cerveau atteindre la surchauffe et vos nerfs s'agiter de mille décharges dont je me décharge totalement, face à la question suivante: avons-nous finalement trouvé le château de Portland ? Ce suspens insoutenable se doit de prendre fin avant que les lecteurs qui me restent ne trépassent d'hypertension: oui, nous le trouvâmes. Et en le dénichant nous comprîmes pourquoi nous ne l'avions pas trouvé immédiatement: outre son inutilité prouvée par la quasi-absence de combats qui s'y sont déroulés, le château de Portland est petit. Vraiment petit. Un châtounet, un castelet, un châtiot, prenez le néologisme qui vous sied et imaginez une bâtisse en pierres, de petite taille dans sa largeur comme dans sa hauteur, agrémentée malgré tout d'un jardin et d'une cour dans laquelle des canons pointent vers la mer qui s'en fiche bien. Son envergure limitée n'enlève rien par ailleurs à la bonne organisation de la visite qui offre notamment la possibilité de se grimer avec des costumes d'époque? Occasion inespérée pour une nouvelle séance de photos débiles avec en petit bonus pour moi une attente de 10 minutes, Le_neptunien étant au téléphone pour organiser la visite dont je ferai mention dans quelques lignes? Pourquoi ne retirai-je pas le costume durant ce laps de temps ? Parce que je suis un grand professionnel, et un gigantesque flemmard, preuve que les deux ne sont pas du tout incompatibles.

Sur la route de Brighton que nous suivîmes suite à ces palpitantes aventures vestimentaires (Palpites-tu, lecteur ?) se trouvait notre prochain objectif. Celui-ci était cher au cœur du Neptunien plus qu'au mien il faut l'admettre. Il s'agissait du musée des aéroglisseurs - hovercraft en bon anglais -, sortes de bateaux montés sur bouées qui jadis permettaient la traversée de la Manche en différents points (des villes de rêve: Le Havre, Calais...). La possibilité disparut dans les années 1990 face aux ferrys et au tunnel sous la Manche mais Le_neptunien se souvenait que gamin (ou minot, gone, petiot, choisissez la niaiserie locale qui vous convient) i lavait effectué la traversée sur un tel engin. Avanat d'admirer ces embarcations sur pneumatiques encore fallait-il trouver le musée et y entrer. Car le gérant, un certain Warwick, n'ouvrait ce dernier...que pour nous trois (Ulysse ayant bien le droit elle aussi d'observer ce qui était après tout des cousins de la famille Transport). Nous avions donc rendez-vous avec lui à 15h à l'adresse indiquée sur le site du musée. Impardonnable impair: nous étions en avance, et il s'avéra que le musée se trouvait au beau milieu de rien de moins qu'une base militaire. Les gardiens (qui se la pétaient un peu, quand même) nous demandèrent de revenir à l'heure du rendez-vous, Warwick n'étant pas encore là. Cela nous donna l'occasion d'aller dans un bar en bord de mer siroter un jus de fruit - et emplir son ventre, pour le vorace Neptunien, ou du moins en boucher quelques trous avec un sandwich au bacon.

A l'heure du rendez-vous, tous pimpants, nous ramenâmes nos fraises (une expression qui supporte assez mal le passé simple) à l'entrée de la base, et réglant quelques formalités d'inscription sur le registre des visiteurs nous pûmes ( un verbe qui supporte assez mla le passé simple) y attendre Warwick qui arriva en voiture flanqué de deux chiens tout à fait charmants. Beaucoup plus charmants que nombre d'êtres humains, fis-je par la suite la remarque au Neptunien qui soupira de mes postures pseudo-misanthropiques. La visite du musée put ensuite commencer. Le musée des aéroglisseurs ce sont en fait deux hangars remplis de ces machines, de toutes tailles et de toutes formes, avec entre les deux l'une des pièces maîtresses du lieu: un aéroglisseur, "The Princess Anne", ma sœur Anne, qui me vit bien venir quand j'y entrai. L'appareil pouvait recevoir plus d'une centaine de passagers et en visiter l'intérieur fut périlleux, non pas parce que des cadavres d'anciens passagers oubliés bloquaient le passage (un squelette s'enjambe, et sans jambes, très bien) mais en raison de la température. Celle-ci devait avoisiner les 60° une fois arrivé au fond de l'embarcation. Rien de bouleversant à voir, mais plein de sueur versant je continuai la visite. Pendant ce temps Le_neptunien s'était posé devant un film qui retraçait l'histoire des aéroglisseurs, film que j'avais abandonné au bout de cinq minutes. La fibre "musée" n'a jamais été en moi, en revanche la fibre "Sieste face à un écran allumé déversant longuement des informations pas toujours enivrantes" aurait fort bien pu s'activer arrivé à la douzième minute.

Pour tout détail sur l'histoire des aéroglisseurs, je suggère au lecteur de jeter un œil sur le site du musée car ce n'est pas dans ce récit que l'historique sera fait. Non pas que j'en serais complètement incapable mais ma carte mémoire a l'équivalent en capacité de ce que mon téléphone portable possède en modernité - c'est dire la faiblesse. Je consens à donner une date approximative de l'invention de l'aéroglisseur (les années 1960) mais au moins mon ignorance crasse de la simple existence de cette machine fut rectifiée en ce mercredi, jour des enfants. Enfants, nous le sommes tous face à la complexité du monde, a dit le philosophe qui ce jour là n'était pas très inspiré - ou peut-être s'était-il pris un aéroglisseur dans la tronche.

Outre la pure pédagogie cette déambulation en hangar eut la vertu de nous donner envie, après en avoir observé à l'arrêt, de monter dans l'un des rares aéroglisseurs fonctionnant encore et se trouvant pas très loin de là. Avant cela nous remerciâmes le sympathique Warwick, tapotâmes la tête des chiens (mais avec douceur, j'oserais même dire que nous les hypo-tapotâmes) et payâmes...en euros. Car, sots que nous étions, sommes, serons et toutes les conjugaisons qu'il vous plaira, nous n'avions plus sur nous le moindre billet en livres de ceux retirés à Tintagel. L'avenant Warwick accepta nos euros après avoir converti la note avec un taux de conversion tout personnel qui d'après un calcul effectué par la suite nous arrangeait plutôt. Attention, je parle ici de trois ou quatre euros grappillés dans l'affaire, pas du casse du siècle.

Ces complexes opérations monétaires effectués, nous nous dirigeâmes vers Portsmouth. Près de la ville se trouvait le lieu de départ de l'éaroglisseur desservant régulièrement l'Isle of Wight. Trouver le port fut le premier défi à relever; ne pas s'étrangler de stupeur contrariée face aux tarifs pratiqués pour faire de la BGV (Bouée à Grande Vitesse) fut le deuxième et se révéla rédhibitoire? Nous fîmes un splendide demi-tour et partîmes vers la plage y tremper les pieds. L'eau était bonne, assez pour me donner envie d'y immerger également le reste de mon corps? Un aller-retour vers Ulysse et un maillot de bain plus tard, je fus plongé dans une mer d'huile? Peu de baigneurs étaient à dénombrer ce qui tout en prouvant la grande frilosité de l'être humain m'offrit un calme plaisant, un "balmy" moment comme ils disent là-bas, un paisible temps de baignade. Par rapport à la mer Méditerranée, la Manche possède bien des vertus. Outre le fait de pouvoir respirer sur la plage sans profiter des effluves de la crème solaire étalée dans le dos du voisin collé devant soi, la possibilité de ne pas surchauffer deux minutes après la sortie de l'eau est aussi agréable. Bien sûr, le pendant est un claquement de dents pendant cinq bonnes minutes et je ne traiterai pas ici la question de savoir ce qu'est une bonne minute par rapport à une mauvaise. L'essentiel est ailleurs: il fut dans le petit havre de tranquillité que constitua cette plage près de Portsmouth. Finalement l'aéroglisseur ne nous manqua pas de trop, Le_neptunien se contenant de prendre photos et vidéos des appareils partant de, ou arrivant au lieu prévu à cet effet.

Ce rafraichissement effectué pour ma part, l'heure frappa à la porte de ses impitoyables coups marquant le rythme des routines si bien intégrées qu'elles en deviennent invisibles. Le hasard fait bien les choses: à côté de la plage se trouvait un restaurant qui pour autant qu'il n'était pas là du tout par hasard et ciblait un clientèle de touristes, possédait l'avantage de son positionnement parfait en bord de mer, avec vue sur les bateaux circulant ici et là. Cela, et une carte ratissant assez large et sans excès de tarifs contrairement à l'aéroglisseur voisin? Pour preuve tandis que Le_neptunien tentait le Fish & Chips je me fis...un burger. Je sens la mine révoltée du lecteur refléter ses pensées agressives à mon endroit: "Hé, l'autre, il va en Angleterre pour se goinfrer de pizzas et de burgers, ça valait bien le coup de payer le ferry, gna gna gna...". Ce à quoi je répond que je fais ce que je veux et qu'il s'agissait bien évidemment d'une démarche sociologique soulignant le caractère multi-culturel de l'Angleterre en m'organisant un périple culinaire aux saveurs variées, de l'Italie aux Etats-Unis en passant par la baguette bien française. Oui, je l'affirme, tout cela fut démarche intellectuelle et non fainéantise exacerbée. Oui, ce fut acte engagé voire politique et non réflexe éhonté de consommateur lambda au cerveau perverti par les consumérismes culinaires en vigueur dans nos belles sociétés occidentales. Oui, ce fut étude philosophique et non goinfrerie de bas-étage. Oui, si tu m'crois pas, hé, t'ar ta gueule à la récré !

La conclusion de cette étude s'est imposée à moi et je ne résiste pas au plaisir de la livrer à vos esprits sagaces avant que vos  esprits ne s'agacent. Cette conclusion, la voici: Oui, on peut se goinfrer de nourriture bien grasse et saupoudrée de soft power américain - aussi appelé ketchup - partout. Oui, on peut devenir un gros tas obèse en tout lieu, nulle discrimination pour ce qui est de consommer tout et surtout n'importe quoi, j'y reviendrai. Oui, j'utilise beaucoup de fois le mot "oui" en ce moment, mais c'est une anaphore, d'abord !

En attendant (que mon étude soit publiée aux Presses Universitaires de France) nous dégustâmes nos mets respectifs, les yeux se promenant sur l'eau délicatement agitée de soubresauts à peine dignes d'un Parkinson en début de carrière - que de poésie ! Quelques tables plus loin un enfant faisait des siennes auprès de sa mère (et non de son père, auquel cas ç'aurait été des persiennes) à grands coups de décibels. Cela m'inspira quelques remarques sur la meilleure façon de noyer un enfant mais qu'on se rassure je ne passai pas à l'action - sa mère me devança. Mais notre repas fut surtout égayé par l'observation minutieuse des trois serveuses différentes que nous eûmes à notre disposition - en tout bien tout honneur. Le_neptunien parvint à lire sur le seul visage de l'une d'elles qu'elle était trentenaire, mariée, avec un enfant, vivant en appartement. Tout ça sur son seul visage, Le_neptunien est un physionomiste amélioré. Les deux autres serveuses, plus jeunes, effectuaient certainement là un job d'été. Mais ce qui retient davantage mon attention fut les sourires que les serveuses adressaient au Neptunien et pas à moi, au moins pour deux d'entre elles (la trentenaire et une blondasse). Mon attrait tout relatif pour la gent féminine et plus encore la gent féminine trentenaire ne m'empêcha pas d'être affreusement (et bâfreusement, puisque je me bâfrais en même temps) vexé de cette absence d'attentions à mon égard alors que je sortais de l'eau, teint frais et œil vif, mine légèrement hâlée et muscles saillants...ouais, bon, j'exagère un peu. Toujours est-il qu'un sourire ne les aurait pas tuées, si ?

Mon orgueil écorché en bandoulière je quittai le restaurant aux côtés d'un Neptunien triomphant. Notre direction était l'aéroport de Gatwick à mi-chemin entre Brighton et Londres, près duquel se trouvait notre hôtel. La route étant assez longue Le_neptunien trouva la parade pour que je me divertisse et pour lui assurer un fond sonore différent du moteur d'Ulysse et plus efficace que mes conversations. Ce fut donc en jouant de la guitare assis en biais côté passager que je passai une bonne partie du voyage. A part des regards un peu étonnés de ceux que nous croisâmes ("Ils sont fous ces français !" aucun problème ne fut à déplorer et sains-et-saufs nous arrivâmes à l'hôtel pour y dormir. Car le lendemain, dès l'aube, nous partirions à l'heure où blanchit la campagne (d'un soleil éclatant); vois-tu, je sais que tu nous attendais, Londres, pour que nous te célébrions de nos Contemplations (salut Victor !)

Retranscription de De Bretagne et d'Angleterre, de Tezorc Irtimid
Présentation et informations : Présentation
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